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Mali : Enjeux et perspectives du retrait de Wagner

Un retrait devenu inévitable face à l’échec militaire et à l’incapacité d’atteindre les objectifs fixés

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Mabrouk Kahi, professeur de sciences politiques et de relations internationales à l’université de Ouargla, propose une lecture de l’évolution de la scène malienne après le retrait des forces russes non officielles de Wagner, ainsi que des motivations et des répercussions de cet événement dans ce pays voisin de l’Algérie, au sud.

À la suite de la décision du retrait des combattants de Wagner du Mali, quelles en sont les causes possibles et quelles seront les conséquences pour les autorités militaires de transition à Bamako et pour la région ?

La décision de retrait du groupe de sécurité Wagner du Mali n’était pas un choix, mais une nécessité imposée par les circonstances internationales, régionales et locales propres au Mali.

Les circonstances internationales sont liées à la guerre entre la Russie et l’Ukraine dans ses récents développements, chaque camp cherchant à engranger plus de gains et à renforcer sa position avant d’aller à la table des négociations pour mettre fin à la guerre. Le retour de Wagner s’inscrit dans la stratégie russe.

Les circonstances régionales concernent principalement l’agacement de l’Algérie, acteur régional majeur, face aux activités militaires de Wagner à ses frontières sud.

Cela est devenu plus évident à travers les discussions directes entre responsables algériens et leurs homologues russes, qui ont compris la position algérienne, notamment au vu de la conjoncture internationale difficile que traverse la Russie (blocus occidental, perte de nombreux alliés). Il est donc dans son intérêt de maintenir de bonnes relations avec l’Algérie, d’autant plus après la visite du président Tebboune à Moscou, la signature de plusieurs accords importants, et les multiples visites de responsables russes en Algérie.

Les conditions internes au Mali montrent que la société de sécurité privée a échoué dans sa mission, subissant de lourdes défaites aux côtés de l’armée malienne face aux groupes armés touaregs et même terroristes. De nombreux éléments de Wagner ont été tués ou capturés, ce qui a gravement porté atteinte à la réputation du groupe.

Les conditions naturelles n’étaient pas non plus favorables au groupe russe, dont les équipements sophistiqués sont difficiles à utiliser dans des régions désertiques hostiles. À cela s’ajoute le manque d’adaptation aux terrains locaux.

Toutes ces raisons ont fait du retrait une nécessité, fruit d’un échec et de l’incapacité à atteindre les objectifs fixés.

Quelles répercussions ce retrait peut-il avoir sur les autorités de transition maliennes ?

Les effets sont désormais visibles. Les autorités de transition ont pris de mauvaises décisions et en paient aujourd’hui le prix. La principale erreur fut l’hostilité injustifiée envers l’Algérie, ce qui leur a fait perdre la confiance de la principale puissance régionale. La suspension de l’accord d’Alger pour la paix et la réconciliation, et la difficulté à y revenir, ont compliqué davantage la situation. À cela s’ajoutent la suspension de l’activité politique, le gel des partis — qui représentent le tissu social et la légitimité constitutionnelle, et non le groupe Wagner — ainsi que la montée en puissance des groupes terroristes qui contrôlent de vastes régions du pays.

Les politiques hostiles envers l’Algérie, la France (ancienne puissance coloniale), et la société civile visaient à construire une légitimité pour rester au pouvoir avec le soutien du peuple, mais les résultats sont catastrophiques, surtout après le retrait du Mali de la CEDEAO et la suspension de sa participation aux instances de l’Union africaine.

On parle du remplacement de Wagner par le « Corps Africain », cela signifie-t-il un maintien de la présence russe au Mali ? Quelle est votre lecture de la situation ?

Le remplacement de Wagner par le « Corps Africain », annoncé officiellement, consistera à former les éléments de l’armée malienne et à offrir des conseils militaires sans participation directe aux combats. C’est une stratégie commune à toutes les sociétés militaires privées, y compris américaines. Le « Corps Africain » n’est autre que Wagner, sous une nouvelle appellation et avec de nouvelles missions. L’objectif est clair : échapper aux poursuites judiciaires liées aux violations des droits humains et aux crimes de guerre, documentés par des organisations internationales indépendantes.

Je pense que ce « Corps Africain » échouera aussi, dans un contexte de pouvoir transitoire faible et illégitime, sans vision claire pour sortir de la crise.

En ce qui concerne la présence russe, il faut savoir que la Russie est une puissance mondiale en conflit permanent avec l’Occident, qui cherche à l’isoler et à réduire son influence. La Russie adopte une stratégie opposée en déplaçant le champ de bataille loin de ses frontières comme forme de défense avancée, en passant de la stratégie des « eaux chaudes » à celle de l’expansion vers les terres arides, pour renforcer sa position dans les négociations avec l’Occident.

Au niveau régional, qui profite de ces développements ? Peut-on parler d’un échec de Wagner, voire de la Russie, dans leur approche sécuritaire au détriment d’une approche globale (diplomatique, sécuritaire et développementale) que propose l’Algérie ?

Les bénéficiaires de ces développements sont les acteurs qui ont intérêt à la prolongation et à la complication des crises, en particulier les forces régionales « fonctionnelles », au premier rang desquels le Makhzen marocain, allié du sionisme mondial, et l’argent du Golfe corrompu qui détruit l’ordre régional arabe en facilitant la normalisation avec Israël.

Quant à l’approche sécuritaire, elle a montré ses limites, même pour la France, pourtant bien informée sur la région. Les défaites de Wagner, bras armé de la Russie, en sont la meilleure preuve.

Par ailleurs, ni la Russie ni Wagner n’ont de vision stratégique pour la région. Elles cherchent uniquement à se doter d’une carte de négociation avec l’Occident impérialiste. L’économie russe, affaiblie par les sanctions imposées après l’invasion de l’Ukraine, ne permet pas de soutenir les économies de la région. L’abandon de Bachar al-Assad par la Russie en est un exemple, dans un accord dont les contours restent flous.

Je m’attends à ce que le sort des régimes de transition au Sahel soit pire que celui du régime syrien, bien que les contextes soient différents.

Par conséquent, l’approche algérienne est la plus réaliste, car elle s’attaque aux causes profondes des crises : le développement, la cohésion sociale, le dialogue et la confiance mutuelle. Certes, cette approche présente des lacunes, mais elles peuvent être corrigées avec le temps.