La mémoire coloniale revient une nouvelle fois au cœur des tensions dans les relations algéro-françaises, à la suite du vote unanime du Parlement algérien en faveur d’une loi criminalisant la colonisation française de l’Algérie durant la période allant de 1830 à 1962. Il s’agit d’un acte éminemment souverain, issu d’une initiative parlementaire claire et bénéficiant d’un appui présidentiel explicite, traduisant une maturité politique et une conscience avancée de l’importance de protéger la mémoire nationale par des textes juridiques sans équivoque ni compromis.
La réaction française, qualifiant cette démarche « d’initiative hostile », n’a cependant rien de surprenant. Elle est révélatrice d’une politique de deux poids deux mesures adoptée par Paris dans son rapport avec l’Algérie, et d’une incapacité chronique à accepter toute approche algérienne indépendante de la question mémorielle, en dehors de la tutelle française ou du récit unilatéral qu’elle tente d’imposer depuis des décennies.
La France, qui s’est dite contrariée par une loi algérienne criminalisant la colonisation, est pourtant le même pays qui, il y a près de vingt ans — précisément le 23 février 2005 — a promulgué une loi glorifiant la colonisation et qualifiant l’occupation française dans les anciennes colonies, dont l’Algérie, de « rôle positif ». Elle est même allée jusqu’à imposer aux établissements scolaires et universitaires l’enseignement de cette vision, dans une tentative flagrante de blanchir 132 années de colonisation marquées par la répression, le pillage et l’anéantissement culturel et humain.
À l’époque, Paris n’y voyait aucune atteinte à la mémoire des peuples ni aucune provocation envers des États indépendants, considérant cette loi comme une affaire interne relevant de sa souveraineté nationale.
Aujourd’hui en revanche, lorsque le Parlement algérien adopte une loi exprimant une vision nationale de la mémoire et établissant une position juridique claire vis-à-vis du passé colonial, la France y voit un acte hostile menaçant le dialogue et compliquant les relations bilatérales.
Cette contradiction flagrante résume l’essence même du problème : Paris veut monopoliser le droit de légiférer lorsqu’il sert son propre récit, et le rejette lorsqu’il émane de l’autre partie. Elle veut une mémoire façonnée selon les standards français, un dialogue sans reconnaissance et une réconciliation sans excuses — une équation que l’Algérie nouvelle et souveraine n’est plus disposée à accepter.
Il convient de rappeler que l’idée de criminaliser la colonisation n’est pas nouvelle en Algérie. Elle avait été fortement avancée en 2005, en réponse directe à la loi française glorifiant la colonisation. À l’époque, des députés, notamment Moussa Abdi et Mohamed Hadebi, avaient proposé un projet de loi visant à criminaliser la colonisation et à réfuter juridiquement la thèse des prétendus bienfaits que la France affirme que l’Algérie aurait tirés de la période coloniale.
Ce projet fut cependant étouffé dans l’œuf, en raison d’une hésitation politique manifeste, coïncidant avec la maladie du défunt président Abdelaziz Bouteflika et son transfert à Paris pour y être soigné, dans un contexte interne et international sensible.
L’ancien Premier ministre Ahmed Ouyahia avait alors justifié le gel du projet en affirmant que la criminalisation de la colonisation relevait de la politique étrangère de l’État, domaine réservé au président de la République et non au Parlement. Le président de l’Assemblée populaire nationale de l’époque, Abdelaziz Ziari, avait également joué un rôle procédural bloquant, en renvoyant le projet pour incompétence et en l’enfermant dans des échanges stériles entre le gouvernement et le Parlement, aboutissant de fait à son abandon.
Aujourd’hui, vingt ans après la loi française du 23 février 2005, l’Algérie remet ce dossier sur la table, mais cette fois-ci à partir d’une position de force politique et institutionnelle, avec une volonté claire de tourner la page de l’hésitation.
La loi adoptée par le Parlement comprend cinq chapitres et vingt-sept articles. Elle vise à établir les responsabilités, reconnaître les crimes coloniaux, faire de l’excuse officielle un fondement de toute véritable réconciliation avec l’Histoire, et protéger la mémoire nationale contre toute tentative de falsification ou d’effacement.
De l’autre côté, la réponse française, émanant du ministère des Affaires étrangères, n’a pas échappé à la duplicité. D’un côté, Paris affirme ne pas vouloir commenter la politique intérieure algérienne ; de l’autre, elle qualifie le vote du Parlement algérien d’initiative hostile portant atteinte à la volonté de reprendre le dialogue et d’apaiser les débats historiques.
Quant aux rappels répétés à la commission mixte d’historiens lancée par le président Emmanuel Macron, ils ne constituent qu’une tentative de contournement du cœur du problème, en cherchant à cantonner la question dans un cadre académique et technique, au lieu de la traiter comme un dossier fondamentalement souverain, moral et politique.
Plus grave encore, Paris continue d’utiliser d’autres dossiers comme leviers de pression, notamment la remise en cause de l’accord de 1968, ainsi que l’instrumentalisation de l’opinion publique française à travers la question de l’immigration et de la communauté algérienne, qui constitue la plus importante communauté étrangère en France. Autant de pratiques révélatrices d’un esprit politique colonial dépassé, misant sur la pression et le rapport de force pour contraindre l’Algérie à des concessions sur les questions de mémoire, d’histoire et d’économie.
Le vote du Parlement algérien en faveur de la loi criminalisant la colonisation n’est pas un acte hostile, mais une réponse souveraine tardive à une législation française provocatrice. Il s’agit d’un message clair : le respect de la mémoire est une condition essentielle à toute relation équilibrée, et le temps du silence et de l’hésitation est révolu. Quant à la politique de deux poids deux mesures adoptée par Paris, elle ne peut qu’alimenter davantage les tensions, à un moment où les relations entre les deux pays ont besoin d’un véritable courage historique, et non d’une duplicité des standards ni de lois glorifiant la colonisation tout en dénonçant sa criminalisation.
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