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Institutionnalisation de la violence à travers l’"Africa Corps" au Mali

La Russie cherche à redéfinir sa présence dans la région du Sahel, incarnée jusque-là par une "coopération" militaire appuyée par une société de sécurité privée.

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Parallèlement à l’annonce du retrait du groupe russe Wagner du Mali – où ses éléments menaient des opérations militaires aux côtés des forces gouvernementales, et parfois de manière autonome – des discussions ont émergé concernant le maintien, voire le renforcement, de la présence russe à travers ce qu’on appelle l’Africa Corps », une formation paramilitaire officielle comptant 45.000 éléments.

Ce corps aurait pour mission « de conseil et de formation » dans plusieurs pays du Sahel, dans le cadre d’accords contractuels signés officiellement entre la Russie et les gouvernements concernés, selon les déclarations de l’organisation. Il semble ainsi que la Russie cherche à revoir sa présence dans la région sahélienne, jusque-là représentée par une forme de « coopération » militaire soutenue par une société de sécurité privée regroupant des combattants et des tueurs à gage, largement qualifiés de mercenaires dans les médias et par l’opinion publique. Leur activité est connue pour son absence totale d’éthique, ne distinguant ni civils ni militaires, et leur recours par certains États vise souvent à échapper à des poursuites judiciaires internationales et à dissimuler de possibles crimes contre l’humanité.

Le remplacement d’une force de mercenaires par une structure militaire étatique porte ainsi les signes d’un changement de cap de la politique russe au Sahel. Il s’agirait de passer d’une présence informelle, limitée et clandestine – utilisée par les nouveaux dirigeants de Bamako pour neutraliser les Touaregs au nord du pays – à une présence formelle et institutionnelle.

Cependant, selon plusieurs observateurs, cela ne signifie pas pour autant la fin des approches violentes et militarisées pour traiter les crises politiques, sociales et ethniques de la région.

Des rapports médiatiques, citant une source diplomatique, indiquent que la majorité des éléments de Wagner au Mali seraient « réintégrés au sein du Corps africain » et maintenus dans le nord du pays, notamment dans la région de Kidal, frontalière avec l’Algérie, ainsi qu’à Bamako. Si ces informations sont confirmées, elles signifieraient que les autorités militaires de transition cherchent à institutionnaliser et militariser leur domination, au détriment des expressions de la société civile.

Cette orientation a été confirmée par un officier militaire malien, cité par l’Agence France-Presse, déclarant : « La coopération militaire avec la Russie se poursuit, que ce soit avec Wagner ou d’autres », assurant que « Moscou reste un partenaire stratégique de Bamako dans le domaine militaire ».

Sur le plan opérationnel, cette nouvelle politique devrait se matérialiser par des programmes de formation, d’encadrement et de conseil, apportant aux armées de la région les techniques spécifiques aux forces russes – réputées pour leur efficacité dans la guerre terrestre et les systèmes de défense aérienne –, contrairement aux armées occidentales, dominantes en matière de puissance maritime et aérienne.

Sur le plan politique, cette présence russe « institutionnalisée » pourrait offrir au Kremlin de plus larges marges de manœuvre au Sahel. Toutefois, elle semble rester confinée à la sphère militaire, sans réelle volonté de nouer des partenariats économiques, scientifiques ou de développement basés sur le principe du gagnant-gagnant. Cette dynamique risque de transformer les pays de la région en théâtre de conflits par procuration entre puissances rivales, avides des ressources africaines.