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Les dessous du grand jeu géopolitique dans la Corne de l’Afrique

Le 26 décembre 2025, l’entité a franchi une étape sans précédent en procédant à la reconnaissance officielle de la région séparatiste du « Somaliland » en tant qu’État indépendant et souverain

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Dans un développement soudain qui menace de redessiner la fragile carte géopolitique de la Corne de l’Afrique, l’entité a franchi, le 26 décembre 2025, une étape sans précédent en procédant à la reconnaissance officielle de la région séparatiste du « Somaliland » comme État indépendant et souverain. Cette décision annoncée a été actée par une signature conjointe du Premier ministre sioniste Benjamin Netanyahou, de son ministre des Affaires étrangères et du président de la région, marquant ainsi le premier “reconnaissance” officielle de ce territoire qui avait proclamé sa sécession de la Somalie en 1991.

Cette démarche n’est pas un événement isolé, mais constitue une étape avancée dans une série complexe de rivalités stratégiques qui ont transformé cette région pauvre en un théâtre de luttes d’influence régionales et internationales multidimensionnelles. Les intérêts des États-Unis, de la Chine, de l’Éthiopie et de plusieurs acteurs régionaux arabes s’y croisent, tandis que les instruments de puissance s’y multiplient, allant des bases militaires aux ports stratégiques et aux routes maritimes vitales.

Le Somaliland occupe une position stratégique extrêmement sensible, à l’entrée de la mer Rouge et du golfe d’Aden, contrôlant un passage maritime crucial par lequel transite une part importante du commerce mondial, y compris le pétrole du Golfe. Cette situation en a fait une cible privilégiée des puissances internationales dans le cadre du sous-système régional moyen-oriental et africain, notamment face à la montée en puissance de l’influence chinoise, matérialisée par l’établissement d’une base militaire chinoise à Djibouti en 2017.

Dans cette optique, la reconnaissance sioniste et les propositions américaines antérieures visant à établir une base militaire dans le port stratégique de Berbera s’inscrivent dans le cadre de la théorie de l’endiguement en relations internationales. Du point de vue occidental — et sioniste — l’instauration d’une présence militaire permanente au Somaliland constitue une réponse préventive à l’influence chinoise, visant à contenir l’expansion de Pékin dans la Corne de l’Afrique et à redessiner le réseau d’alliances afin de protéger les intérêts occidentaux dans les voies maritimes stratégiques.

Dimensions régionales, déstabilisation et projet hégémonique
Les dynamiques régionales ne sont pas moins complexes que le jeu international. La décision sioniste porte atteinte directe au principe de l’intangibilité des frontières, fondement de l’Union africaine, et encourage les tendances séparatistes sur un continent déjà fragilisé par des frontières héritées de l’époque coloniale. Elle aggrave également la fracture entre la Somalie et l’Éthiopie, cette dernière — enclavée depuis l’indépendance de l’Érythrée — cherchant un accès à la mer. Addis-Abeba a ainsi signé, début 2024, un protocole d’accord avec le Somaliland pour accéder au port de Berbera en échange d’un soutien diplomatique.

On observe ici une convergence manifeste des intérêts sionistes, éthiopiens et émiratis, les Émirats arabes unis jouant un rôle de catalyseur et de financier à travers la gestion du port de Berbera par DP World, au service de leur « sécurité économique et de l’expansion de leur influence ». Ce bloc se heurte à un axe opposé conduit par l’Égypte, soucieuse de la sécurité des sources du Nil et hostile à toute modification de la carte régionale susceptible de menacer sa sécurité nationale, comme en témoigne la signature d’un accord de défense conjointe avec le gouvernement fédéral somalien à Mogadiscio. Le Somaliland devient ainsi un théâtre de confrontation indirecte entre deux alliances régionales.

La situation au Somaliland constitue un test concret et frappant du conflit entre deux théories en relations internationales et en droit. D’un côté, la théorie de la souveraineté juridique, défendue par le gouvernement somalien et officiellement par la communauté internationale, selon laquelle le Somaliland demeure un territoire somalien dont l’unité et la souveraineté sont inviolables. De l’autre, la théorie du réalisme politique ou du fait accompli, selon laquelle le Somaliland fonctionne depuis 1991 comme une entité dotée d’un gouvernement, d’une armée, d’une monnaie, organisant des élections et entretenant des relations avec plusieurs États (comme l’Éthiopie et les Émirats), reconnaissance désormais actée par l’entité sioniste sur la base de son efficacité et de sa capacité à maintenir une stabilité relative.

La reconnaissance sioniste reflète la désorganisation de l’ordre international et le déclin de l’autorité des Nations unies et des principes consensuels, les États agissant désormais selon des calculs de puissance et d’intérêts étroits, même au détriment du droit international et de la stabilité régionale. Cette reconnaissance n’est ni humanitaire ni fondée sur le droit à l’autodétermination, mais purement pragmatique, centrée sur un objectif sécuritaire et de renseignement : contrôle de la rive occidentale du détroit de Bab el-Mandeb, mise en place d’une plateforme d’alerte précoce pour surveiller les mouvements d’acteurs adverses (tels que l’Iran et les Houthis) en mer Rouge, et renforcement de la capacité à protéger la navigation.

Elle s’inscrit également dans une stratégie géopolitique visant à pénétrer la profondeur stratégique arabe via l’Afrique et à exercer une pression indirecte sur l’Égypte en menaçant sa sécurité nationale en mer Rouge, tout en affaiblissant l’axe régional mené par Le Caire. Sur le plan interne et régional, cette démarche vise aussi à faire pression sur des États médiateurs dans des dossiers comme Gaza et à se présenter comme un partenaire incontournable pour des puissances régionales telles que l’Éthiopie et les Émirats. Enfin, selon certains rapports, elle pourrait servir à dissimuler un projet de déplacement, le lien évoqué entre cette reconnaissance et l’accueil de Palestiniens constituant un levier caché, malgré les démentis officiels.

En résumé, le Somaliland est passé d’une question séparatiste locale à une carte maîtresse dans un vaste jeu géopolitique. La reconnaissance sioniste n’est pas une finalité, mais le prélude à une phase plus dangereuse de la lutte pour l’influence dans l’un des corridors maritimes les plus vitaux du monde, où les grandes puissances se disputent les décombres d’un État failli, au prix du sacrifice de l’avenir de millions de Somaliens sur l’autel des intérêts majeurs.