Un profond pessimisme règne parmi les analystes et les acteurs du secteur agricole en France concernant les perspectives d’exportation de blé, en particulier avec la fermeture continue du marché algérien aux céréales françaises pour la deuxième année consécutive.
Des journaux et plateformes d’information français ont rapporté les propos d’Alexander Wilkins, analyste chez Argus Media, lors de la présentation du rapport de l’organisme fin août dernier « Nous ne prévoyons pas de reprise des exportations vers l’Algérie cette année », alors que l’Algérie importait auparavant entre 5 et 6 millions de tonnes de blé français par an.
Selon les statistiques, l’Algérie n’a acheté aucune cargaison significative de blé français depuis 2024, un choc inédit pour la balance commerciale céréalière française. D’après des spécialistes français, la production de blé en France a pourtant connu une hausse de 30 % en 2025, atteignant 33,4 millions de tonnes contre 25,6 millions en 2024, mais cette augmentation ne s’est pas traduite en gains économiques, car le marché mondial est saturé, entraînant une chute des prix à des niveaux inférieurs aux coûts de production.
Le rapport d’Argus Media indique que le coût de production d’une tonne de blé français est estimé cette année à 200 euros, tandis que le prix de vente sur les marchés européens oscille entre 170 et 190 euros la tonne.
En parallèle, la Russie, principal concurrent de la France sur le marché algérien, enregistre des gains importants, avec une production record attendue de 86,1 millions de tonnes, tandis que l’Ukraine et l’Argentine regagnent des parts de marché internationales avec des prix extrêmement compétitifs.
Cela a réduit la part de la France à seulement 8 millions de tonnes exportées hors UE, alors que le seuil d’équilibre se situe à 9,5 millions de tonnes au minimum.
Par ailleurs, la Chine, autre client historique, a réduit ses importations, optant pour l’autosuffisance et des achats limités en provenance de l’Australie, dans un contexte de ralentissement économique mondial sévère.
Selon les prévisions d’Argus Media, les stocks de fin de saison 2025-2026 pourraient atteindre 4 millions de tonnes, soit leur plus haut niveau depuis plus de 20 ans, contre des estimations plus optimistes de FranceAgriMer à 3,8 millions de tonnes.
Cette accumulation de stocks menace de rediriger une grande partie du blé vers des usages secondaires, comme l’alimentation animale, ou de provoquer une intervention européenne via des mécanismes de soutien ou de stockage stratégique.
Alors que les agriculteurs français attendent avec anxiété tout changement climatique ou politique pouvant modifier l’équation du marché, l’absence du marché algérien, pour des raisons purement diplomatiques, reste un facteur clé dans l’aggravation de la crise du blé français.
Appel à la coopération… malgré la crise
Dans ce contexte, Jamel Belaïd, expert agricole et auteur du livre « L’Agriculture en Algérie : ou comment nourrir 45 millions de personnes en temps de crise » publié en 2021, appelle à dépasser la logique conflictuelle entre l’Algérie et la France et à saisir l’occasion pour construire un partenariat stratégique fructueux dans le domaine agricole.
Dans son analyse publiée sur Mediapart, Belaïd affirme que ce qu’on appelle la « guerre du blé » reflète en réalité une double crise d’une part, la perte de compétitivité du blé français sur les marchés internationaux ; d’autre part, la fragilité du système agricole algérien, qui dépend encore fortement des importations de blé tendre pour couvrir ses besoins.
Il explique que l’Algérie, bien qu’ayant atteint l’autosuffisance en blé dur, ne parvient toujours pas à produire des quantités suffisantes de blé tendre, en raison de choix agricoles privilégiant l’orge et l’élevage ovin, notamment dans le sud du pays.
De plus, certaines pratiques agricoles comme la récupération de la paille sans réintégration dans le sol ou le pâturage des champs après la récolte épuisent la fertilité des terres, menaçant la sécurité alimentaire, surtout dans un contexte de changement climatique et de rareté de l’eau.
Partant de ce constat, l’expert propose que l’Algérie tire profit du savoir-faire français en agriculture, notamment dans les domaines de : l’agriculture durable, la gestion des sols, la rotation des cultures.
Ce sont là des disciplines dans lesquelles l’école française dispose d’une longue expérience, à travers des figures comme Lucien Séguy et Michel Sebillotte.
Il recommande également la création de programmes de formation conjoints pour les ingénieurs agronomes ainsi que l’établissement de fermes pilotes dans le sud algérien basées sur des approches scientifiques modernes.
En contrepartie, il affirme que la France, ayant perdu un marché vital absorbant environ 5 millions de tonnes de son blé, a besoin de retrouver cet exutoire stratégique pour soulager ses producteurs, frappés par la baisse des prix et la hausse des coûts.
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