Nation

Faut-il procéder à un tri de la scène politique ?

Entre adhésion politique et populaire… et craintes des partis de l’exclusion ou des représailles.

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Avec l’intention des pouvoirs publics de réviser la loi organique relative aux partis politiques, des appels ont été lancés pour profiter de cette occasion afin d’opérer un véritable filtrage de la scène politique, avec l’objectif d’instaurer un pluralisme réel et non artificiellement gonflé.

Dans ce contexte, le groupe parlementaire des Indépendants au Conseil de la Nation a appelé à une réforme radicale de la loi sur les partis politiques, permettant de passer d’un pluralisme « numériquement hypertrophié » à un « pluralisme efficace » reposant sur des formations sérieuses et des programmes réalistes. Dans un document présenté lors du dernier cycle de consultations non annoncées avec le conseiller du président de la République chargé des affaires politiques, Mustapha Saïdj, le groupe a souligné la nécessité de « rationaliser le paysage partisan », tout en préservant la liberté d’activité politique garantie par la Constitution et en renforçant la capacité des partis à encadrer la société, à former des élites et à produire des initiatives politiques.

Commentant ce sujet, le politicologue Hakim Boughrara a estimé que : « Réduire le nombre de partis politiques constitue une étape très importante pour débarrasser la classe politique des partis parasites, opportunistes et conjoncturels, et pour passer de la médiocrité à la compétence ».

Dans une déclaration à El Khabar, Boughrara a expliqué que « beaucoup de partis ont exploité le pluralisme instauré après la Constitution du 23 février 1989 et son article 39 qui permettait la création d’associations à caractère politique sans préparation préalable. Cela les a conduits à adopter un discours violent, idéologisé, parfois même raciste, allant jusqu’à propager un discours de haine qui a failli détruire la République ».

« D’où l’importance de réduire le nombre de ces partis en raison de leurs grandes dérives : manipulation des élections, recours à l’argent sale, ventes de candidatures sur les listes électorales, sans oublier l’enracinement du clientélisme, du régionalisme et des loyautés étroites », poursuit-il.

Et d’ajouter : « Les partis n’ont pas su tirer profit des événements majeurs qu’a connus l’Algérie : fin du terrorisme, retour du pays sur la scène régionale et internationale… Ils auraient dû revoir leurs activités et corriger leurs erreurs. Mais, malheureusement, leurs comportements déviants ont perduré, notamment avec la multiplication des “mouvements correctifs” internes, qui ont affaibli davantage les formations politiques, gaspillé du temps et démobilisé leurs bases militantes, ce qui a accentué l’abstention électorale, comme lors des élections législatives et locales de 2007, 2012 et même 2017 ».

« Les partis n’ont pas su exploiter la loi de 2012, ni les retombées du Hirak populaire. Leurs congrès nationaux restent otages des systèmes de cooptation et d’alliances non déclarées. Même leurs demandes d’audience avec le président Abdelmadjid Tebboune n’ont apporté aucune transformation réelle dans leur fonctionnement. Ces partis restent dépourvus de programmes solides et de plans de développement, se concentrant uniquement sur le positionnement politique et l’exploitation médiatique d'événements ponctuels, ce qui a encore réduit leur impact et retardé leur “repentance politique” », explique-t-il.

« À mon avis, les critères de réduction du nombre de partis devraient être appliqués après les législatives et locales de 2026, en fixant un minimum de sièges obtenus, un seuil de voix, une présence nationale et une influence réelle dans la vie politique. Il faut aussi tenir compte du respect des délais de tenue des congrès, de l’intégration des jeunes et des universitaires, et de la capacité des partis à réagir aux événements. Cela permettrait de passer de la quantité à la performance ».

De son côté, l’enseignant en sciences politiques et relations internationales, Zakaria Wahbi, estime que la question ne se résume pas à réduire le nombre de partis politiques, mais que l’objectif réel est de structurer l’action politique en Algérie de manière à créer une nouvelle dynamique basée sur des idées de qualité, offrant des solutions, contribuant au développement économique et défendant les intérêts nationaux dans divers domaines.

Il explique à El Khabar qu’«il est essentiel d’accorder une grande importance à la formation politique, qui constitue un pilier fondamental dans la vie politique. C’est grâce à elle qu’il est possible de comprendre la complexité de la scène nationale et internationale et de proposer les solutions adéquates. Cela fait partie intégrante des missions des partis politiques ».

Avant d’ajouter que « le problème est que certains partis ne remplissent pas ce rôle central. Le critère essentiel n’est donc pas le nombre, mais plutôt l’efficacité sur le terrain, la stratégie, et la capacité à proposer des actions réalistes et opérationnelles ».

Les partisans d’une épuration du paysage politique s’appuient sur une scène saturée mais inefficace, où certains partis n’existent que sur le plan administratif, tandis que d’autres sont utilisés comme “décor politique” lors des élections, ce qui a accentué la rupture entre la population et les élites politiques.

L’idée d’assainir la scène politique bénéficie d’un soutien politique et populaire, car elle pourrait améliorer l’efficacité du système politique et restaurer la confiance entre les citoyens et les formations politiques. Mais elle suscite également des inquiétudes au sein des partis, qui craignent que cette orientation puisse être instrumentalisée pour éliminer certaines formations ou les exclure de la vie politique. D’où les appels à définir des critères clairs, transparents et équitables pour ce processus : taux de présence nationale, nombre d’adhérents, activité réelle, participation électorale et visibilité politique.