Beaucoup de ceux qui n’ont aucun lien avec l’histoire, surtout celle de la Révolution de libération dans la capitale du Hodna, s’interrogent sur l’utilité d’un Institut d’Histoire au sein de l’Université du Chahid Mohamed Boudiaf de M’Sila, une université qui porte le nom de l’un des six déclencheurs de la Révolution, et qui s’enorgueillit de cet institut, alors que, depuis sa création, aucun de ses enseignants ni étudiants n’a réellement abordé le dossier des “Martyrs de la Grotte du Barrage”, ou, comme on les surnomme plus tard, les “Jeunes de la Caverne”, depuis leur découverte en 1979 — soit dix-sept ans après que l’Algérie eut célébré son indépendance, le 5 juillet 1962. Durant tout ce temps, ils furent considérés comme “disparus”.
Le plus étrange dans tout cela, c’est qu’ils furent honorés à l’époque par une réinhumation solennelle dans le cimetière des martyrs, et que leurs noms furent attribués à certaines rues de la ville. Puis, soudainement, ils tombèrent, sans qu’on sache trop comment, dans l’oubli collectif.
Et même si cet oubli n’était pas volontaire, il demeure incompréhensible : ces jeunes ont offert leurs vies pour que la patrie fleurisse. Pourtant, ceux-là mêmes qui enseignent l’histoire dans cet institut n’ont jamais tenté, ne serait-ce qu’une fois, de lever le voile sur leur destin : qui étaient-ils ? Comment sont-ils morts ? Et comment ont-ils pu rester dans cette grotte pendant toutes ces années sans qu’aucune étude, aucune publication universitaire ne leur soit consacrée ?
Pendant que d’autres événements plus lointains sont analysés et commentés, leur mémoire, à eux, reste ensevelie. Et voilà que, chaque année, le pays commémore la Révolution à travers des cérémonies symboliques ici et là, tandis qu’eux, les martyrs de la grotte, demeurent dans la sphère du silence et du sacré, leur récompense et leur œuvre restent entre les mains de Dieu, eux qui ont versé leur sang pour la patrie et rien d’autre.
Cette introduction, entre autres, me pousse à affirmer avec conviction que beaucoup de générations nées après l’indépendance ignorent encore l’histoire de la Révolution, ne savent pas vraiment contre qui elle a été menée ni pourquoi.
Et les habitants de M’Sila ne font pas exception : rares sont ceux qui connaissent réellement l’histoire des “Martyrs de la Grotte du Barrage”.
Ce sont quinze des meilleurs fils de la ville, que les autorités coloniales ont jetés vivants dans une grotte située dans la région du Barrage, un jour sombre du 5 juillet 1958.
Leurs corps ne furent découverts qu’en 1979, soit 17 ans après l’indépendance, par des gardes forestiers tombés sur eux par hasard, découvrant une véritable fosse commune.
Ces martyrs auraient pu rester absents de l’Histoire sans cette découverte fortuite, survenue le 3 novembre 1979, après qu’ils eurent été portés disparus pendant de longues années.
L’histoire de la “Grotte du Barrage” — ou des “Jeunes de la Caverne”, reste aujourd’hui inconnue pour la majorité des nouvelles générations.
Ceux qui ont vécu les premières années de l’indépendance se souviennent de cet événement, car il fut l’un des plus marquants dans la mémoire collective de M’Sila, rappelant la brutalité des crimes du colonialisme français dans cette région du Hodna, qui, comme tant d’autres wilayas, a tout sacrifié pour libérer la terre et l’homme.
Le 23 novembre 1979 marque, malgré les 17 années qui le séparaient de l’indépendance, un tournant dans la relecture de l’histoire révolutionnaire de la région.
Ce fut un moment de vérité qui permit de corriger de nombreuses erreurs et d’éclaircir plusieurs zones d’ombre — sur les faits comme sur les acteurs, bien au-delà d’une simple cérémonie de réinhumation.
Ce fut une rectification de mémoire, un acte de justice historique.
Les quinze martyrs arrêtés le 5 juillet 1958 sont l’imam Saïd Mechti, Belkacem Flousia, Lakhdar Hamina Lakhdar, Abdelaziz Ben Yahia, El-Houcine Mohamedi, Ahmida Ben Chadi, Issa Ben Younès et son frère El-Hachemi Ben Younès, Belkacem Ben Dhib, El-Meddani Hamani, Tahar Ibrahimi, Belkacem Chikouche, Abdallah Laïdi, Mohamed Baâdji et Cherid Abdelhafid.
Cette liste des “Martyrs de la Grotte” n’a toujours pas reçu, après toutes ces décennies, la reconnaissance qu’elle mérite.
Aucun colloque national ou journée commémorative ne leur est consacré, à l’exception d’une unique tentative vite oubliée.
Leur honneur se limite encore à la découverte de leurs dépouilles et à leur réinhumation, tandis que leur histoire reste confinée dans une mémoire négligée.
Ces héros mériteraient qu’on érige en leur honneur des statues, pas seulement des plaques aux entrées des établissements publics.
Aucun panneau explicatif ne signale les lieux de leur martyre. Pire encore, les chercheurs ont laissé passer l’occasion d’enregistrer les témoignages vivants des témoins et compagnons de lutte avant leur disparition.
Et peu de gens savent aujourd’hui ce qu’était réellement “le Deuxième Bureau”, cet ancien bâtiment du centre-ville où des centaines de citoyens furent torturés, probablement le dernier passage des Martyrs de la Grotte avant leur exécution.
Les jeunes d’aujourd’hui espèrent que le site de la grotte où furent exécutés les quinze martyrs soit classé comme lieu de mémoire nationale, et qu’on y organise chaque année un colloque commémoratif, à l’instar de ce qui se fait pour d’autres héros de la Révolution dans plusieurs wilayas.
Ce serait une manière d’éclairer la jeunesse, de lui transmettre les leçons de sacrifice et d’amour de la patrie, et de lui rappeler que c’est grâce à ces hommes et à tant d’autres comme eux que l’Algérie est libre aujourd’hui.
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