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Dans un contexte d'une crise complexe et sans fin en perspective, l'historien français Benjamin Stora a exprimé son opinion et son point de vue, en se basant sur son domaine de spécialité, énumérant les implications de cette situation sur le présent et ses perspectives, tout en suggérant des pistes qui, selon lui, pourraient permettre de se positionner différemment face aux blessures du passé, complexes et tragiques, comme il l'a exprimé.
Dans une longue interview accordée au magazine Historia, parue ce dimanche, Stora a indiqué que la paralysie des relations entre les deux pays constitue une situation sans précédent dans leur histoire depuis l'indépendance en 1962, comparée aux périodes de tensions survenues lors de la nationalisation des hydrocarbures en Algérie en 1971, ou lorsque le président français François Mitterrand s'était opposé à l'arrêt du processus électoral en 1991.
Mais cette fois, selon l'historien, la tension semble plus profonde que jamais, ce qu'il a illustré par l'absence d'ambassadeur algérien à Paris depuis plusieurs mois, et la fermeture des canaux de coopération traditionnels dans des domaines tels que la sécurité, l'immigration ou les questions culturelles, ce qui n'était jamais arrivé auparavant, ajoute-t-il.
Selon l'auteur de plusieurs ouvrages sur l'histoire de l'Algérie, le point de bascule et de déclin a eu lieu durant l'été 2024, lorsque la France a reconnu le plan d'autonomie marocain pour le Sahara occidental, car avant cette date, l'Algérie recevait les rapatriés et expulsés du territoire français de manière normale.
Après avoir replacé la crise dans son contexte historique, lié à la nature du colonialisme français en Algérie, et à la tentative d'imposer un modèle d'annexion visant à faire de l'Algérie une province française d'une manière inédite dans l'histoire, ainsi que la force de l'indépendance et les douleurs qui l'accompagnaient, avec son impact choquant sur les Français, Stora a déclaré : "Ils pensaient qu'ils pouvaient effacer cela à travers les prochaines générations, mais l'histoire ne s'efface pas, elle se transmet à travers les livres, les œuvres, les films, ou parfois de manière négative, lorsqu'elle est transmise par des non-dits, des ressentiments ou des imaginations non partagées."
Répondant à une question concernant l'utilisation par le gouvernement français de la menace de révision des accords du 27 décembre 1968 comme outil de pression sur les autorités algériennes dans cette crise, l'historien a affirmé que revoir ces accords signifierait soumettre les Algériens à ce qu'on pourrait appeler le droit commun.
Cependant, parler d'annulation, selon Stora, implique que ce que le général de Gaulle avait signé en 1968 n'était pas bon, comparant le retrait de cette signature à un défi implicite et inconscient vis-à-vis des accords signés également par le président français en 1962, soit les accords d'Évian, ajoute-t-il.
En ce qui concerne la sortie possible de cette crise, selon lui, il s'agit de recourir aux négociations, tout en prenant en compte les spécificités de la situation actuelle, où de nombreux Algériens ou Français d'origine algérienne vivent en France, ainsi que le flux généré par les liens familiaux existants. Il souligne que cela crée un grand espace franco-algérien mixte, qui est en tout cas un héritage de notre histoire et peut faire l'objet de négociations.
Stora a estimé que c'est la première fois que la question des accords de 1968 est abordée sous un angle purement politique, notant que toutes les démarches de menace de révision ont été faites d'une manière juridique et non publique, ce qui, selon lui, rappelle les souvenirs de 1962.
L'historien a proposé des solutions, affirmant que le véritable défi consiste à chercher des moyens de désescalade plutôt que de raviver constamment des souvenirs douloureux, donnant pour exemple son expérience personnelle de la guerre en Algérie, de l'exil et de la pauvreté lorsque sa famille est arrivée en France.
Concernant la possibilité que l'histoire soit un chemin vers la réconciliation ou vers une détérioration plus profonde des relations entre les deux pays, l'historien estime que l'abondance et l'intensité de l'histoire peuvent conduire à rouvrir les blessures, mais en même temps, l'absence d'histoire favorise le déni, l'imaginaire et le ressentiment caché, considérant que le véritable défi réside dans la recherche d'un compromis.