Consensus sur la criminalisation du colonialisme français

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L'Algérie se dirige vers l'adoption d'une loi criminalisant le colonialisme français, l’ouverture officielle par le président de l'Assemblée populaire nationale, Ibrahim Boughali, du débat sur cette législation, dans un contexte de crise diplomatique sans précédent entre les deux pays.

La criminalisation du colonialisme est une revendication récurrente depuis l'époque du parti unique en 1984, mais elle a rencontré de nombreux obstacles et résistances. L'historien et ancien député à l'Assemblée populaire nationale, Mohamed Arziki Ferad, a expliqué que l'idée de criminaliser le colonialisme français en Algérie remonte à une initiative qu'il avait personnellement proposée le 18 février 2001, pendant son mandat parlementaire (1997-2002).

Ferad a précisé qu'il était le premier à proposer ce projet durant la période de pluralisme politique, soulignant que 50 députés de différentes orientations politiques avaient signé cette initiative, un nombre qui dépassait le seuil minimum requis pour présenter une proposition législative au sein de l'Assemblée populaire nationale à l'époque.

Le projet de loi proposé en 2001 comprenait trois articles : le premier qualifiait les opérations militaires françaises visant le peuple algérien, sa vie, sa souveraineté, sa dignité et sa liberté, de crimes contre l'humanité ; le second stipulait que ces crimes étaient imprescriptibles ; et le troisième établissait que la demande de réparations pour les préjudices matériels et moraux causés par ces crimes était un droit pour l'État algérien, les associations et les individus.

En 2006, l'Assemblée populaire nationale a vu un autre projet de criminalisation, en réponse à la loi française de glorification du colonialisme que la France voulait adopter en 2005 sous la présidence de Jacques Chirac, mais ce projet de loi a été suspendu pour diverses raisons, notamment le désir de ne pas nuire aux relations avec la France. Il a été utilisé comme un moyen de pression chaque fois que les relations entre les deux pays se détérioraient, mais sans véritable volonté de le mettre en œuvre.

En 2019, l'initiative a été relancée par le député Kamel Belarbi, qui a porté la même revendication pour criminaliser le colonialisme français et ses crimes en Algérie, appelant la France à reconnaître ces crimes, à présenter des excuses et à fournir des compensations appropriées.

Le projet de loi en question affirme que "la demande de reconnaissance par la France de ses crimes et actions pendant son occupation de l'Algérie de 1830 à 1962 et des excuses pour ceux-ci est un droit légitime du peuple algérien, non négociable."

Le projet de loi insiste sur la "responsabilité de l'État français pour tous les crimes commis par ses armées contre le peuple algérien durant son occupation", soulignant que ces actes criminels sont imprescriptibles, tels que les génocides, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre. Les conséquences de ces crimes perdurent encore aujourd'hui, comme les mines semées sur les frontières est et ouest et les radiations nucléaires dans le désert, ainsi que le massacre du 8 mai 1945.

Cependant, ce projet n'a pas eu plus de succès que les précédents et n'a attiré l'attention politique et législative qu'à travers la couverture médiatique. Après l'élection du nouveau parlement en 2021, plus de 100 députés de l'Assemblée populaire nationale ont proposé une loi criminalisant le colonialisme, et le député Belkheir Zakaria du MSP a déposé le projet au nom des initiateurs à l'occasion de la commémoration du 1er novembre. Mais ce projet est également resté sans suite.

Le projet de loi insiste sur la punition de toute personne qui glorifierait le colonialisme français en Algérie, par tout moyen d'expression, avec des peines de prison de six mois à deux ans et des amendes. Il charge l'État français de la responsabilité totale des crimes commis par ses armées et collaborateurs pendant la période coloniale, tels que les explosions nucléaires, le génocide, les champs de mines, les insultes et le vol de biens et de patrimoine nationaux.

Le projet considère que les crimes du colonialisme français ne sont soumis ni à la prescription ni aux lois d'amnistie, conformément au droit international humanitaire, et maintient la revendication de compensations pour les préjudices matériels et moraux causés par ces crimes.

Il prévoit la "mise en place de la reconnaissance et des excuses comme deux principes fondamentaux dans les relations algéro-françaises". La reconnaissance, les excuses et les compensations sont considérées comme des droits légitimes du peuple algérien et non négociables. Il oblige également l'État algérien à ne signer aucun accord ou traité avec l'État français avant de satisfaire toutes les conditions du projet de loi.

 

Le moment opportun

 

Commentant la réintroduction de la criminalisation du colonialisme, le leader du Mouvement de la société pour la paix (MSP) et député à l'Assemblée populaire nationale, Ahmed Sadouk, a estimé que le moment était venu, après les tensions dans les relations entre les deux pays, pour utiliser l'arme de la criminalisation du colonialisme contre la France, qui n'a pas pris en compte la situation des Algériens lorsqu'elle a adopté en 2005 une loi glorifiant le colonialisme et une loi spéciale pour protéger les harkis et les traîtres qui ont collaboré avec elle pendant la période coloniale.

Sadouk a insisté sur le fait qu'il n'était pas important de savoir qui soutenait cette loi ou de quel parti elle provenait, mais qu'il était essentiel qu'elle réponde aux aspirations du peuple algérien et rende hommage aux sacrifices des martyrs et des combattants de la révolution.

De son côté, le député Abdelkader Berriche a expliqué que l'initiative d'Ibrahim Boughali découlait des développements actuels dans les relations algéro-françaises, face à l'attitude persistante de l'extrême droite française dans les cercles politiques et médiatiques, ainsi que de son ingérence flagrante dans les affaires internes de l'Algérie.

Au regard de ces circonstances et des nouvelles variables, Berriche a estimé que le moment était propice pour relancer le projet de loi criminalisant le colonialisme afin de mettre la France actuelle à sa juste place et lui faire comprendre que les atrocités commises par la France coloniale ne doivent pas être oubliées.

Berriche a insisté sur le fait que les relations entre les deux pays doivent être bâties sur la résolution du dossier de la mémoire, en déclarant : "Tout comme les députés français ont proposé une loi glorifiant le colonialisme, nous adopterons une loi contre le colonialisme et exigerons que la France actuelle présente des excuses pour les crimes de la France coloniale et fournisse des compensations pour les crimes commis contre les Algériens."

 

Efforts continentaux

 

Il est à noter que lors du dernier sommet de l'Union africaine, l'Algérie et trois autres pays ont été chargés de mettre en œuvre l'initiative africaine pour criminaliser le colonialisme et exiger des compensations justes pour l'injustice coloniale infligée aux peuples africains pendant des décennies de colonisation, ainsi que de mettre en œuvre la décision de classer l'esclavage, le déportation et le colonialisme en tant que crimes de guerre contre l'humanité et génocides commis contre les peuples africains, et de porter cette question sur la scène internationale.

L'Algérie a réaffirmé qu'elle ne ménagerait aucun effort pour mener cette mission avec détermination et engagement, inspirée par les sacrifices immenses des peuples africains pour libérer leurs pays et restaurer leur souveraineté et leur indépendance, ouvrant ainsi la voie pour porter cette question à l'ONU dans le futur.

L'intégration de la criminalisation du colonialisme et sa fin à l'agenda des institutions de l'Union africaine constitue l'une des préoccupations que l'Algérie a portées en raison de son statut de victime majeure de l'occupation française, qui a ravagé le continent africain et d'autres continents.

Cette initiative algérienne est simplement une étape d'un projet de longue haleine que l'Algérie mène depuis des décennies pour contraindre l'ancienne puissance coloniale à reconnaître et réparer les crimes commis par la France contre les peuples qu'elle a opprimés.

L'Algérie a porté ce dossier devant les institutions de l'Union africaine après avoir épuisé toutes les solutions possibles avec la partie française pour la pousser à assumer ses responsabilités face aux dommages causés à l'Algérie et à ses pays frères en Afrique et dans le monde entier.