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Benjamin Stora… Historien de la mémoire ou cible politique ?

À travers certains de ses médias douteux, le Makhzen a mené une violente attaque contre Stora, le qualifiant de « symbole de l’échec de la politique d’apaisement mémoriel ».

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Photo: D.R
Photo: D.R

Dans l’une de ses dernières campagnes hostiles envers l’Algérie, sa mémoire et ses symboles, le régime marocain n’a pas hésité à mobiliser ses plumes stipendiées pour s’en prendre à l’historien français Benjamin Stora, l’accusant des pires qualificatifs uniquement pour avoir appelé le président Emmanuel Macron à « revenir à la légalité internationale » concernant la question du Sahara occidental occupé.

À travers certains de ses médias douteux, le Makhzen a mené une violente attaque contre Stora, le qualifiant de « symbole de l’échec de la politique d’apaisement mémoriel » entre la France et l’Algérie, prétendant qu’il était partial en faveur de l’Algérie et hostile au Maroc. Il est même allé jusqu’à l’accuser de servir des « agendas politiques » sous couvert de recherche académique, en s’appuyant sur ses « blessures personnelles » à Constantine, selon leurs termes.

Par le biais de sites électroniques agissant comme des bras médiatiques parallèles du Makhzen, une série de mensonges et d’insultes a été propagée à l’encontre de cet historien reconnu, qui a toujours maintenu une position équilibrée sur la question du Sahara occidental, insistant sur la nécessité de respecter les résolutions onusiennes. Une posture qui, aux yeux de ces plumes, fait de lui un « ennemi ».

Comme à l’accoutumée, les cercles du palais royal n’ont pas manqué l’occasion de s’immiscer dans les affaires algériennes, considérant le rapport Stora sur la mémoire (2021) comme une « catastrophe », comme si le roi marocain avait autorité pour valider ou rejeter les documents officiels de l’État français !

Par pure haine, Stora fut soudainement présenté comme le « porte-parole de l’Algérie » ; ses déclarations ont été jugées « dépourvues d’objectivité » et accusées de nuire aux relations franco-algériennes. Certaines allégations sont même allées jusqu’à affirmer qu’il aurait fait pression sur l’Élysée pour défendre le Front Polisario – une accusation absurde qui ne relève d’aucun débat académique sérieux.

Et ces plumes ne se sont pas arrêtées là : elles ont osé accuser Stora de défendre le président Abdelmadjid Tebboune, le qualifiant de « pseudo-historien » ou de « malade mental », simplement parce qu’il a tenu à rester fidèle aux principes de rigueur académique et a refusé de se joindre à une campagne de falsification des faits.

Il est à la fois risible et tragique de voir l’un des plus grands historiens français être présenté comme un « agent de l’Algérie » par un écrivain marocain prétendant à la recherche scientifique. Et pourtant, Benjamin Stora est reconnu dans les milieux scientifiques à travers le monde pour son objectivité et sa crédibilité dans l’étude des mémoires, étant parmi les premiers à défendre le droit des peuples à raconter leur propre histoire, loin des récits officiels imposés.

Peut-on vraiment croire que les plumes du Makhzen puissent remettre en question la probité d’un historien à qui l’État français, par la voix de son président, a confié l’une des missions les plus sensibles dans les relations franco-algériennes ? Est-il raisonnable de comparer un chercheur sérieux comme Stora à une personnalité controversée et raciste comme Éric Zemmour ? Cette comparaison en elle-même ne suffit-elle pas à dévoiler les intentions de ceux qui mènent cette campagne et de ceux qui les soutiennent ?

Quant à la tentative d’assimilation de Stora à Boualem Sansal, elle relève d’une pure mauvaise foi. Sansal est un écrivain impliqué dans un discours révisionniste et expansionniste, alors que Stora est un chercheur rigoureux, soucieux de transmettre la vérité historique, qu’elle plaise ou non au Makhzen.

L’auteur de ces attaques ferait mieux de répondre aux Nations unies, à l’Union africaine et aux défenseurs des droits des peuples à travers le monde, qui refusent de voir le Sahara occidental continuer d’être occupé, pillé par des convoitises multiples, pendant que son peuple reste déplacé dans la dernière colonie du continent africain.

Pour que les scribes du Makhzen retrouvent la clarté de jugement et se débarrassent de leur aveuglement haineux, il est utile de rappeler que Benjamin Stora est l’un des plus grands spécialistes français de l’histoire de l’Algérie, de la colonisation française en Afrique du Nord, et de l’immigration maghrébine en France.

Grâce à des dizaines d’ouvrages et de recherches documentées, il s’est imposé comme une référence incontournable au sein des institutions académiques françaises et internationales, notamment dans l’analyse des relations complexes entre la France et l’Algérie, ainsi que dans la compréhension de la mémoire collective liée à la période coloniale.

Dès les années 1980, Stora a instauré une nouvelle approche de l’histoire des migrations algériennes et maghrébines, mettant en lumière l’importance de la « mémoire historique », et soulignant que les conflits politiques modernes entre nations sont indissociables des blessures du passé non encore guéries.

Il a produit dans ce domaine des travaux pionniers, dont : Les guerres de mémoires : France-Algérie, L’exil et la mémoire : les Juifs d’Algérie du colonialisme à nos jours, ou encore Histoire de l’Algérie de 1830 à nos jours.

Grâce à ces contributions, Stora est devenu un conseiller scientifique reconnu pour les dossiers mémoriels, non seulement en France, mais aussi à l’échelle européenne et internationale. Ce qui lui a valu d’être officiellement mandaté par le président Emmanuel Macron pour rédiger le rapport de 2021 sur les pistes de « réconciliation mémorielle » entre Paris et Alger. Il est également président de la commission française sur le dossier de la mémoire.

Malgré les polémiques politiques suscitées par ce rapport, sa valeur académique reste indépendante des luttes idéologiques.

Stora ne prétend pas à une neutralité absolue ; il reconnaît ouvertement que son vécu personnel et son contexte culturel façonnent en partie son regard d’historien – une posture assumée dans la recherche historique moderne, qui admet l’impact du « sujet historien » sans pour autant renier les exigences scientifiques.

Face aux critiques, de nombreux chercheurs affirment que Stora n’a jamais été un « historien de régime » ni un « porte-parole politique », mais un universitaire guidé par une volonté sincère de comprendre le passé et de bâtir des ponts entre les deux rives, avec la conviction que la réconciliation ne peut se faire sans reconnaissance de la douleur partagée et d’une mémoire divisée.

Benjamin Stora, malgré les controverses, reste un historien de référence. Il a offert des outils rigoureux d’analyse pour comprendre les effets de la colonisation sur les sociétés contemporaines, et a enrichi le débat académique et politique autour de l’histoire, de la mémoire et de l’identité dans l’espace francophone.

Et comme le savent les spécialistes entre l’Algérie et la France, et les chercheurs honnêtes dans le monde entier, Stora reste un historien reconnu pour son intégrité scientifique, son éthique intellectuelle et son engagement en faveur des causes justes. Depuis 63 ans, il sillonne les capitales du Maghreb et d’ailleurs ; alors, pourquoi donc ce retournement soudain des plumes du Makhzen contre lui, en plein cœur d’une vague de plus en plus agressive menée par l’extrême droite à travers le monde, désireuse de redessiner les frontières et diviser les nations ?