Tout d’abord, je m’excuse auprès des lecteurs si je ne parviens pas à exprimer ce que je veux dire avec des phrases claires comme vous m’y avez habitué, parce que j’ai arrêté d’écrire pendant presque deux ans, donc je pourrais avoir des difficultés à formuler ce que je veux dire.
Premièrement : je ne suis pas étonné de ce qu’a dit Nasser à propos de la participation de l’Algérie à l’effort de guerre des Arabes contre Israël, particulièrement sur le front égyptien, mais ce qui m’étonne, c’est que certains Algériens considèrent ce qu’a dit Nasser dans cet enregistrement comme une insulte à l’Algérie ou une falsification de la vérité, alors que ce que Nasser dit dans l’enregistrement glorifie l’Algérie et c’est la pure vérité. L’Algérie n’a jamais été d’accord pour cesser le combat en 1967 ; elle avait en effet envoyé une division entière avec ses armes et son équipement au front égyptien après le cessez-le-feu, et les paroles que Nasser prononce dans l’enregistrement concernent la guerre après 1967, non pas après 1973.
Quant à Boumediene, l’idée de négocier avec Israël a commencé avec Nasser en 1967, pas avec Sadate en 1973, et je possède dans ce domaine des informations précises que peut-être je ne devrais pas dissimuler aux gens maintenant.
Le défunt Boussouf m’a dit que les révolutionnaires algériens avaient conseillé à Nasser de ne pas nationaliser le canal, car la France n’hésiterait pas à le frapper, mais Nasser ne les a pas écoutés, considérant que c’était une mauvaise estimation de la part des révolutionnaires algériens, et qu’il y a des choses écrites à ce sujet dans les archives de la révolution algérienne et de la direction égyptienne de l’époque. Nasser et Fathi Al Dib ont construit les positions de l’Égypte envers la révolution algérienne après 1956 sur l’idée que les révolutionnaires algériens voulaient intervenir dans les affaires égyptiennes vis-à-vis de la France pour servir l’intérêt de la révolution algérienne. Et sur cette base ont commencé les problèmes de la révolution algérienne, et en particulier de la direction de la révolution au Caire, ce qui a nécessité le transfert du commandement de la révolution du Caire vers la Tunisie, avec ce que cela a comporté comme certaines tracasseries pour l’activité des révolutionnaires au Caire, notamment concernant le financement et l’armement. En fait, cela est allé jusqu’à ce qu’un compte de la révolution au Caire, d’un montant de 20 millions de livres égyptiennes de l’époque, soit gelé, et il n’a été rouvert que lorsque Ali Kafi est intervenu auprès de Nasser. Je l’ai interrogé à ce sujet, Kafi m’a confirmé ce fait !
Ces questions ont affecté les relations égypto‑algériennes dans les dernières années de la révolution, au point que quatre officiers révolutionnaires ont été exécutés pour suspicion d’être agents de la direction égyptienne (Lamouri et ses compagnons). Le président Ben Bella a essayé de réparer cette situation dans les premières années de l’indépendance et il a réussi dans une certaine mesure, puisque l’Égypte a aidé le président Ben Bella à établir les fondations de son régime, et en 1963 elle envoya un navire chargé d’armes au port d’Annaba. On croit que les services de renseignement français étaient derrière l’explosion de ce navire au port d’Annaba, et beaucoup de personnes, Algériens et Égyptiens, sont mortes… Le poète d’Afrique du Nord, feu Mohamed Laid Al Khalifa, leur a dédié une élégie immortelle dans laquelle il dit : « Les martyrs d’Égypte sont des invités des martyrs d’Algérie ». Nasser fit une visite de 24 heures en Algérie.
Cette question a aussi influencé la règle de Boumediene après le coup d’État du 19 juin, car les Égyptiens considéraient que la destitution de Ben Bella du pouvoir était un coup aux intérêts français en Algérie, ainsi leur position vis‑à‑vis du 19 juin était la réprobation, ce qui fit que le magazine « L’Armée » écrivit dans son numéro de juin 1965 : « Nasser va‑t‑il nous demander si nous avons destitué un fonctionnaire de son poste ? » voulant parler de la destitution de Ben Bella !
Et bien que Boumediene ait envoyé une division au front égyptien après 1967, son refus de l’idée du cessez‑le‑feu fit que Nasser considérait la position de Boumediene comme de la surenchère venant d’un homme éloigné du champ de bataille.
Le commandant Helilo, que Dieu ait son âme, m’a dit qu’il fut l’un de ceux qui ont pris le combiné du téléphone lorsque Nasser appela Boumediene après l’attaque israélienne contre l’Égypte en 1967, qu’il remit le combiné à Boumediene, resta debout aux ordres, attendant les instructions du président, et qu’il entendit Boumediene dire à Nasser au téléphone : « Comment l’armée a‑t‑elle pu être frappée d’une attaque cérébrale ?! Pas arrêter la guerre et les laisser occuper tout le monde arabe, et qu’on fasse la guerre populaire, et qu’on vainque les Juifs et ceux qui sont derrière eux par une guerre populaire... »
Et quand Boumediene posa le combiné du téléphone, il dit : « L’armée a‑t‑elle été frappée d’une attaque cérébrale ? Alors pourquoi tu démissionnes ? Tire‑toi une balle dans la tête ! C’est plus honorable et meilleur pour le peuple égyptien. »
Et ce que les gens ne savent pas, c’est que la guerre d’usure (la guerre d’épuisement) fut initiée par l’Algérie, et que les « refus de Khartoum » (les trois non : pas de paix, pas de négociation, pas de reconnaissance) furent lancées par l’Algérie… Pas de paix, pas de négociation… pas de reconnaissance. Et la guerre d’usure est née à Khartoum avec cette position. Nasser demanda aux Arabes à fournir de l’argent pour acheter des armes et mener la guerre d’usure, ce à quoi la Syrie, l’Irak et l’Algérie acceptèrent de verser d’importantes sommes à l’Égypte pour exercer la guerre d’usure, et ils convinrent de se revoir après un an pour évaluer la situation… Mais Nasser détourna une partie de l’argent donné par les Arabes pour l’effort de guerre, vers le financement de certaines opérations civiles pour sécuriser le front populaire intérieur, ce qui provoqua la colère de l’Arabie Saoudite et surtout de l’Algérie ! Et l’Algérie encore plus, parce que Nasser s’est entêté à accepter le projet Rogers, qui proposait l’idée de négociation et de paix avec Israël, ce qui allait à l’encontre de ce qui avait été convenu au sommet de Khartoum. Et lorsque le sommet arabe eut lieu à Rabat en 1969, le roi Faisal que Dieu ait son âme prit la parole… et demanda à Nasser de lui rendre compte des modalités dans lesquelles l’argent alloué à l’Égypte lors du sommet de Khartoum par les Arabes avait été dépensé. Nasser s’offusqua et s’adressa à Yasser Arafat : « Dieu te protège, ô Abou Ammar, les réactionnaires ont montré leurs crocs ! » Faisal, à ce moment, fut contrarié par ces propos, et Boumediene prit son fauteuil, alla s’asseoir près du roi Faisal lui disant à Nasser : « Si demander des comptes sur l’usage de l’argent que nous vous avons donné alors je suis réactionnaire ! Cet argent est celui du peuple que nous avons alloué en son nom ! Et il faut que nous disions à nos peuples où ces fonds ont été dépensés ! » Voilà ce qui fit que Nasser dit ce qu’il a dit.
Ces informations m’ont été racontées par le capitaine Hamouda Achouri en 1971 car il faisait partie de la délégation présidentielle qui accompagna Boumediene au sommet de Rabat en 1969, représentant la conservation politique de l’armée algérienne ! Et dit que Nasser à Boumediene : « Tu as tué tes compagnons dans la révolution parce qu’ils étaient favorables à l’Égypte ! » parce que Boumediene était président du tribunal qui jugea Lamouri et ses compagnons !
Et en juin 1975, j’ai demandé à l’écrivain Hassanine Heikal dans l’hôtel Algérie au Caire au sujet de cet événement, il m’a dit : « Effectivement, il y eut une altercation entre Boumediene et Faisal d’une part, et Nasser d’autre part, mais pas d’une gravité telle que te l’a racontée l’officier qui t’a relaté l’événement ! » Bien sûr j’ai compris de cela qu’il atténue les faits ?! Et environ 17 ans après, feu Yasser Arafat me fit l’honneur à la villa « Jnane el‑Mufti » à Alger.
Lors d’un repas, face à face, alors que les relations avec l’Égypte étaient rompues à cause de la visite de Sadate en Israël, j’ai demandé à Arafat au sujet de l’événement, il m’a confirmé qu’il avait eu lieu, peut‑être avec une intensité plus grande que ce que m’avait dit Hamouda Achouri… Et à ce moment j’ai compris pourquoi Heikal avait minimisé l’événement et dit : que c’était une simple inimitié légère ?!
Et je t’ajoute une chose : que l’écrivain Heikal, quand il visita l’Algérie en 1975, rencontra Boumediene dans un échange en trois sessions d’une durée de plus de 9 heures… selon ce qu’il m’a dit dans le cadre de la recherche à produire un livre qu’il nommait « Visite pour l’histoire » ; cela avait commencé par une entrevue avec le président Giscard d’Estaing à Paris, puis le roi d’Espagne, puis Hassan II, puis Boumediene et Bourguiba. Il a publié les entretiens qu’il a eus avec les quatre premières personnalités, mais il n’a pas publié l’entretien avec Boumediene dans le cadre de son livre « Visite pour l’histoire », pas plus que le long entretien qu’il a eu avec Boumediene à ce jour. Et j’ai remarqué chez lui qu’il était inquiet de ce qui s’était passé entre lui et Boumediene concernant le dialogue avec Israël, aux Arabes, au point que le contenu de cet entretien touche à la réputation de l’Égypte à l’époque de Nasser et de Sadate aussi, parce que Boumediene considère que l’idée de dialogue avec Israël a commencé avec Nasser dans le projet Rogers, et non pas au kilomètre 101 sur la route du Caire vers le Sinaï après la guerre d’octobre. Voilà pourquoi Heikal n’a pas publié cet entretien. Et je ne sais pas si les services de la présidence algérienne ont enregistré cet entretien ou non ? Et je ne crois pas que Boumediene ait commis une telle erreur de ne pas faire enregistrer une conversation spécialement avec Heikal ?!
Certaines personnes pensent que je suis hostile à l’Égypte, et la vérité est tout à fait le contraire, j’aime l’Égypte et bien sûr j’aime davantage l’Algérie, et je suis fier qu’un de mes proches soit mort sur le front égyptien pendant la guerre d’usure, défendant à la fois l’Égypte et l’Algérie aussi, et qu’un de mes proches (le fils de ma tante) ait été gravement blessé dans la guerre d’usure et soit encore vivant et souffre des séquelles à cause des éclats qui sont toujours dans ses jambes, ce qui l’a empêché d’assister à l’enterrement de sa mère… Il s’appelle Ougidni Ahmed et il habite à la ville de Telaghma si l’ambassade d’Égypte veut le contacter.
Je n’ai jamais visité l’Égypte de ma vie, alors que j’ai visité tous les pays arabes sans exception. La raison pour laquelle je ne suis jamais allé en Égypte, c’est cette histoire de visa que l’Égypte a imposé aux Algériens !
Dans les années soixante, nous étions de jeunes étudiants qui militions pour l’abolition du visa entre les deux pays, en tant qu’héritage du colonialisme, car les Algériens humiliaient les professeurs égyptiens venus enseigner en Algérie en les soumettant à l’obligation de visa, alors qu’aucun Algérien ne se rendait en Égypte. Nous avons donc lutté pour la suppression du visa, en solidarité avec nos enseignants égyptiens. Mais dans les années quatre-vingt, l’Égypte a imposé un visa aux Algériens ! J’ai donc refusé que le visa égyptien soit apposé sur mon passeport, et c’est pour cela que je n’ai jamais visité l’Égypte.
Une fois, le hasard m’a conduit à l’aéroport du Caire, en transit vers Khartoum. J’y ai passé une nuit, dormant à l’aéroport, et j’ai refusé que mon passeport soit tamponné avec un visa spécial délivré sur place.
Pour vous dire la vérité, j’aimerais visiter l’Égypte, mais sans visa. Je souhaite pouvoir visiter ce pays, réciter la Fatiha sur la tombe du défunt Abdel Nasser, ainsi que sur celle de mon ami le général Saad Eddine El Shazli, que j’ai eu le bonheur de connaître lorsqu’il résidait en Algérie. Je l’ai rencontré à Khartoum avant sa mort, et je lui ai présenté mes excuses au nom du peuple algérien pour ce que lui ont fait ceux qui l’avaient expulsé d’Algérie. Il m’a répondu, avec la grandeur des nobles « Ne t’en fais pas. L’important, c’est que j’ai connu l’Algérie et les Algériens avant de connaître ces gens-là. »
Je souhaite également visiter les tombes de mes professeurs Taïma El-Jarraf, Saad Zahran et celle de Mohamed Hassanein Heikal. Et je souhaite aussi voir les trois pyramides : Oum Kalthoum, Khéops et Khéphren.
Mes salutations à ceux qui liront cet article.
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