La crise française n’est plus un simple épisode passager d’instabilité gouvernementale ; elle s’est transformée en un phénomène structurel qui reflète un déséquilibre profond dans l’ensemble du système politique. La démission du Premier ministre désigné, Sébastien Lecornu, moins de 24 heures après la formation de son gouvernement, ne constitue pas un simple incident dans les annales de l’histoire politique, mais incarne de manière dramatique une phase de « décomposition politique », telle que l’avait prédite le politologue Samuel Huntington, où les institutions existantes deviennent incapables d’absorber les revendications sociales et politiques croissantes.
Le repli du modèle présidentiel de la Cinquième République
La Cinquième République française repose sur le principe de la supériorité du pouvoir exécutif, représenté par le président, sur le pouvoir législatif. Les élections législatives anticipées convoquées par le président Emmanuel Macron en 2023 ont cependant produit des résultats négatifs pour ce modèle. Tout a commencé avec un parlement fragmenté, aucun bloc n’ayant obtenu de majorité absolue, ce qui a conduit à une forme de « cohabitation » forcée et instable entre des blocs parlementaires en conflit : le bloc centriste macroniste, le bloc de gauche (le Front populaire) et le bloc de droite (le Rassemblement national).
Cette configuration limite de manière inédite la marge de manœuvre du président et du gouvernement. En second lieu, une crise de légitimité et de représentation s’installe. Selon la théorie de la « crise multidimensionnelle », le système a perdu sa capacité à incarner clairement la volonté populaire. Le peuple a voté contre Macron, mais sans choisir une alternative claire, ce qui a créé un vide en matière de représentation. S’ajoute à cela l’effondrement de la culture du compromis, les partis politiques ayant échoué à parvenir à un « compromis historique » sur des questions fondamentales comme le budget et la fiscalité. Les déclarations de Lecornu — « les partis n’ont pas fait de concessions » — reflètent un raidissement idéologique qui mine les fondements du travail parlementaire.
La démission de Lecornu, la troisième en moins d’un an, consacre l’échec d’un « gouvernement minoritaire » incapable de gouverner, et montre que le poste de Premier ministre est devenu un « poste impossible » dans l’équation parlementaire actuelle.
Les conséquences de cette crise ne se limitent pas à l’intérieur de la France, mais s’étendent à son rôle stratégique en Europe et dans le monde. À l’image d’un pilier de l’Europe qui vacille, la France, en devenant « l’homme malade de l’Europe », fait trembler l’un des deux fondements de l’Union européenne (avec l’Allemagne). Cela menace la stabilité de tout le bloc, d’autant plus dans un contexte de rivalités géopolitiques et économiques à l’échelle mondiale.
À cela s’ajoute la crise des finances publiques, qui devient une menace existentielle, à la lumière des alertes des agences de notation (comme Fitch), de l’augmentation de la dette publique (114 % du PIB), et d’un déficit budgétaire considérable (le plus élevé de l’Union européenne). Il ne s’agit plus simplement d’indicateurs économiques, mais de menaces contre la souveraineté nationale. En effet, la France, selon les règles de discipline budgétaire de l’UE, n’est plus capable de gérer sa dette, ce qui la place dans une situation semblable à celle de la Grèce durant sa crise. La dette française est si lourde qu’elle n’est surpassée dans l’UE que par la Grèce et l’Italie. Avec un déficit budgétaire situé entre 5,4 % et 5,8 % du PIB, le gouvernement français est également responsable du plus grand déficit de l’Union. Le gouvernement a reconnu l’aggravation de la dette publique, qui a atteint 3 415 milliards d’euros — soit 114 % du PIB — à la fin du premier trimestre de l’année 2025, avec un fossé croissant entre recettes et dépenses.
S’ajoute à cela le recul de l’influence internationale : un pays souffrant d’un vide gouvernemental persistant et d’une paralysie politique ne peut être un acteur fiable dans la gestion des crises internationales (comme en Ukraine ou au Moyen-Orient). La baisse de sa capacité à prendre des décisions stratégiques rapides et décisives affaiblit la position de la France sur la scène internationale.
Dimensions sociales et système politique : la rue comme acteur central
Il convient de lire cette crise politique à travers le prisme du conflit social. L’écart entre les élites et le peuple est mis en lumière par la déclaration de Gabriel Attal, qui a qualifié la situation de « cirque autour des postes et des fonctions ». Cela résume bien l’indignation populaire face à une classe politique perçue comme déconnectée des souffrances des citoyens, confrontés à la cherté de la vie, aux conséquences des politiques d’austérité et à la menace d’une nouvelle flambée sociale.
Le vide gouvernemental et l’absence de cap politique clair « attisent de nouveau la rue ». L’incapacité du système à produire un gouvernement stable crée un vide que des forces sociales organisées (comme les syndicats) ou spontanées (manifestations populaires) pourraient combler, ce qui risque de faire renaître une spirale de protestations, à l’instar du mouvement des « Gilets jaunes ».
Enfin, la stratégie risquée de Macron semble consister à exacerber la crise jusqu’à son point de rupture, dans l’espoir de contraindre les forces politiques à accepter des solutions impopulaires (comme des réformes d’austérité), ou de justifier l’organisation de nouvelles élections dans un moment de « réveil » populaire. Mais ce pari comporte le risque d’un effondrement total du système, si la situation venait à lui échapper.
La démission de Lecornu ne constitue pas la fin du chemin, mais un nouveau chapitre dans un paysage de crise française chronique et profonde. Le système politique fondé sur la Cinquième République fait face à une épreuve existentielle.
Les solutions classiques — comme la dissolution du gouvernement ou la nomination d’un nouveau Premier ministre — ne suffisent plus.
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