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L’avenir de Gaza au cœur des calculs de puissances mondiales

La situation actuelle, avec les négociations autour de la force internationale, du Conseil de la paix et de la structure de reconstruction, constitue un véritable laboratoire de l’équation du pouvoir et de l’influence au Moyen-Orient après la guerre contre Gaza

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Gaza évolue dans un espace intermédiaire entre un cessez-le-feu effectif et le « jour d’après » la guerre, au cœur d’un conflit géopolitique complexe visant à façonner la réalité finale de l’enclave. Le nœud central de la problématique se concentre sur deux dossiers extrêmement sensibles qui résument l’essence du conflit : le devenir de l’armement de la résistance palestinienne, et la nature de la « ligne jaune », sa fonction stratégique ainsi que le retrait de l’entité de l’intérieur du territoire.

Ces dossiers ne peuvent être compris en dehors de leur contexte global ; ils constituent l’incarnation vivante de projets et de visions antagonistes : le projet national palestinien fondé sur le droit à la résistance et à la libération, face au projet sioniste soutenu par les États-Unis, visant à imposer un nouvel ordre sécuritaire et régional garantissant la « fin de la cause palestinienne » selon des conditions unilatérales.

La situation actuelle, avec les négociations autour d’une force internationale, d’un Conseil de la paix et de la structure de reconstruction, représente un véritable laboratoire de l’équation du pouvoir et de l’influence au Moyen-Orient après la guerre contre Gaza.

La partie sioniste insiste sur le fait que le cœur de la sécurité réside dans le démantèlement de la capacité militaire de l’adversaire, faisant du « désarmement de la résistance » une priorité absolue et un préalable à tout arrangement ultérieur. Cette vision incarne une philosophie sécuritaire qui considère la force matérielle et la supériorité militaire totale comme l’unique garantie de survie, et qui perçoit la force armée palestinienne comme une menace existentielle, dépassant le simple danger opérationnel pour remettre en cause, par principe, la légitimité même de l’existence et de la souveraineté « sionistes ».

À l’inverse, les factions palestiniennes adoptent une vision défensive et structurelle : l’arme n’est pas seulement un outil militaire, mais un symbole central de l’identité, de la résistance et de l’autonomie politique, ainsi que l’unique instrument de dissuasion face à un projet visant à liquider la cause palestinienne. Accepter toute formule de désarmement, en particulier sous pression extérieure et dans le cadre d’arrangements sécuritaires servant exclusivement la partie sioniste, équivaudrait à se dépouiller de l’essence même de la résistance et du droit légitime à la défense. C’est pourquoi la proposition palestinienne actuelle — consistant à « geler » les armes ou à les placer sous supervision nationale sans les « retirer », dans le cadre d’une trêve de longue durée — constitue une manœuvre habile pour absorber les pressions internationales tout en préservant la dimension symbolique et la capacité dissuasive, dans une stratégie de préservation de soi et de résilience. Cela reflète une compréhension profonde du rôle structurant de l’arme comme garante de l’identité et levier de négociation, et non comme simple instrument de guerre.

Sur le plan géopolitique, la « ligne jaune » dépasse le simple cadre d’un arrangement temporaire de cessez-le-feu pour devenir un outil multifonctionnel aux mains de l’entité, parallèlement au soutien à des milices armées hostiles à la résistance dans le cadre de la privatisation de la guerre et de l’affaiblissement de cette dernière. Premièrement, elle sert à instaurer un fait accompli géographique : le contrôle par l’armée sioniste de plus de 54 % de la superficie de Gaza crée une nouvelle réalité de partition. La déclaration du chef d’état-major sioniste, Eyal Zamir, évoquant de « nouvelles frontières défensives », révèle l’intention de transformer cette ligne, de ligne de retrait, en frontière permanente de facto, réduisant radicalement le futur espace géographique palestinien et préparant des changements démographiques de long terme. Deuxièmement, elle constitue un instrument de pression politique et de négociation, devenant un enjeu central dans le jeu des pourparlers : le retrait peut être conditionné à des concessions sur d’autres dossiers, tels que le sort des armes de la résistance ou la forme et les prérogatives de la force internationale, ou encore son extension progressive peut servir à bloquer le passage à une seconde phase si les exigences ne sont pas satisfaites. Troisièmement, elle agit comme un mécanisme de reconfiguration de la sécurité interne de Gaza, à travers la création d’une large zone tampon à l’intérieur du territoire, à l’image de ce qui a été fait dans le sud du Liban ou en Syrie. L’entité redessine ainsi la carte des déplacements, de l’habitat et de la vie palestinienne, morcelle la géographie interne et affaiblit toute capacité future de cohésion sociale ou d’organisation militaire indépendante — une application concrète de la stratégie de « fragmentation spatiale » visant à gérer le contrôle de la terre et de la population en transformant la géographie en instrument de coercition et de domination.

Dans ce contexte, les stratégies des principaux acteurs se croisent. La stratégie américaine cherche à imposer un « ordre régional administré », par lequel Washington vise, à travers le « Conseil de la paix » et la force internationale, à contenir et gérer le conflit plutôt qu’à le résoudre de manière radicale. Elle tend à transformer le dossier de Gaza en projet de reconstruction et de gestion internationale, ouvrant la voie à des entreprises américaines proches du Parti républicain pour bénéficier de contrats de reconstruction pouvant atteindre des dizaines de milliards de dollars. Le dossier est ainsi extrait de son cadre de lutte nationale de libération pour être intégré à celui de la « gestion de crise et de la reconstruction », un modèle qui transforme une cause politique en projet technique et humanitaire, alors que des entreprises américaines se disputent les contrats de reconstruction de Gaza après deux années de guerre ayant causé une destruction massive de toutes les infrastructures.

Quant à la stratégie sioniste, elle s’oriente vers une politique de « retardement et d’obstruction », misant sur l’échec du plan international, en s’accrochant à la condition préalable non négociable du désarmement et en élargissant la « ligne jaune » sur le terrain afin de gagner du temps pour consolider le fait accompli géographique. Elle attend l’effritement du consensus international et l’érosion du soutien populaire à Gaza sous le poids de la destruction et de l’appauvrissement, ce qui pourrait ouvrir la voie ultérieurement à des « solutions » plus coercitives, telles que le déplacement volontaire ou forcé, ou le maintien d’une partition permanente sous domination sécuritaire.

La résistance est consciente de la difficulté de sa position après une guerre dévastatrice, un blocus étouffant et une destruction massive des infrastructures. Elle manœuvre néanmoins à travers plusieurs axes : proposer une trêve de longue durée pour alléger la pression internationale et sioniste, renvoyer la question des armes à un dialogue national palestinien global afin de partager la responsabilité et d’obtenir une couverture politique collective, et s’ouvrir de manière conditionnelle à l’idée d’une force internationale et d’un conseil exécutif, mais sous des conditions empêchant toute hégémonie totale — notamment le rejet de figures controversées comme Tony Blair et l’exigence d’un rôle effectif pour des États considérés comme amis. L’essence de cette approche réside dans une stratégie de « résilience et de percée », visant à demeurer un acteur politique et sécuritaire incontournable, à franchir la transition entre la phase de guerre destructrice et une nouvelle étape sans renoncer aux constantes fondamentales, dans l’attente de transformations régionales ou internationales susceptibles de rééquilibrer le rapport de forces.