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Prime de voyage: le stratagème des “moutons” pour contourner les règles

Les autorités ont pris des mesures pour freiner le “business”

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La Banque d’Algérie a publié un communiqué rappelant les règles d’obtention du droit au change pour voyager, et des mesures ont été prises concernant le passage des bus aux postes frontaliers. Cette réaction est intervenue face à la prolifération de méthodes frauduleuses visant à obtenir la prime de 750 euros pour ensuite la revendre sur le marché noir, en profitant de l’écart entre le taux officiel et la valeur de l’euro au Square, estimé à 8,5 millions de centimes.

Depuis quelque temps, un phénomène nouveau s’est installé parmi les jeunes : contourner le dispositif de la prime pour en faire une opportunité de gagner de l’argent, tout en respectant partiellement ses conditions administratives.

Le stratagème commence par la collecte de passeports de jeunes chômeurs ou d’adolescents, en vue d’obtenir la prime et de profiter de la différence de change d’une manière qui reste en apparence légale.

Les initiateurs de cette « idée » ciblent les jeunes sans emploi ou les adolescents n’ayant jamais quitté le territoire national. Ils les convainquent de l’idée du voyage, puis leur proposent de financer les frais d’obtention du passeport (6 000 dinars) ainsi que le montant de la prime (12 millions de centimes), en échange des 750 euros, remis ultérieurement au niveau des guichets de la Banque centrale aux postes frontaliers.

Les promoteurs du projet exploitent l’attrait que représente l’idée d’un voyage à l’étranger pour ces jeunes, qui rêvent souvent de découvrir un autre pays mais n’ont pas les moyens de payer les 12 millions de centimes exigés par les banques selon les nouvelles conditions, ni de financer les frais du voyage.

Selon des informations recueillies par El Khabar, une fois qu’un « organisateur » réussit à convaincre une dizaine de jeunes ou plus d’obtenir leur passeport, il leur avance l’argent nécessaire à la prime en dinars, au niveau de la banque, dans l’attente de recevoir ultérieurement le montant en devise au niveau des postes frontaliers.

Interrogées sur la possibilité pour ces jeunes de récupérer eux-mêmes leur prime au guichet, sans l’intermédiaire de l’organisateur, des sources bien informées ont expliqué que l’ensemble de l’opération repose sur un accord préalable entre les deux parties : le détenteur du passeport cède la prime au « parrain » en échange de la prise en charge des frais du passeport, du voyage et de la prime elle-même, tandis que le passeport reste entre les mains de l’organisateur, comme garantie pour éviter toute mauvaise surprise.

À partir de là, deux voies s’offrent aux voyageurs : certains se rendent jusqu’à Tunis capitale, où ils séjournent les sept jours requis par les conditions d’obtention de la prime, afin d’éviter la sanction qui les priverait de ce droit l’année suivante et les obligerait à restituer l’argent à la banque. D’autres choisissent de rester dans des villes tunisiennes proches, comme Tabarka, Kef ou Sakiet Sidi Youssef, afin de réduire les dépenses.

Une fois ces formalités accomplies, l’attention se porte sur leur quotidien à Tunis et dans les autres villes tunisiennes telles que Hammamet ou Sousse. Un Algérien résidant en Tunisie explique à El Khabar que le « chef » du groupe loue souvent un appartement simple, offrant le minimum nécessaire, pour environ 40 dinars tunisiens par jour (soit environ 2 800 dinars algériens). Les jeunes y séjournent, savourant leur première expérience hors du pays.

Tout cela se fait en respectant les nouvelles conditions de la prime, qui imposent aux bénéficiaires un séjour effectif de sept jours. En cas de non-respect de cette durée, les bénéficiaires doivent restituer le montant aux agences de la Banque d’Algérie dans un délai de cinq jours ouvrables après leur retour, comme le stipule la réglementation.

Le non-respect des conditions expose également le titulaire du passeport à une interdiction de bénéficier du droit au change pendant cinq ans, ce qui pousse ces jeunes initiés à respecter scrupuleusement les règles afin que la prime ne se transforme pas en punition.

Ces pratiques semblent correctes en apparence, mais elles restent illégales dans leur essence. La directive de la Banque d’Algérie stipule en effet que « le recours à toute manœuvre visant à détourner l’usage du montant du droit au change de son objectif initial, et conduisant à le placer entre les mains d’un tiers qui ne doit pas en être le bénéficiaire réel, constitue une infraction à la législation et à la réglementation des changes, et expose les contrevenants à des poursuites pénales conformément à la loi en vigueur. »

Ce phénomène n’est d’ailleurs pas nouveau en Algérie, d’autres pratiques similaires avaient déjà vu le jour vers la Libye, la Turquie ou Dubaï, sous le nom de « moutons», terme utilisé pour désigner le rassemblement de plusieurs personnes et leur transfert collectif vers un autre pays afin qu’elles profitent de leurs droits administratifs.