Malgré l'escalade croissante dans les relations entre l'Algérie et Paris, de nombreux experts et analystes estiment peu probable que la crise atteigne le stade d'une rupture totale, en raison des lourdes pertes que cela infligerait à la France à plusieurs niveaux. Cela rend le maintien d’un minimum de communication entre les deux parties une nécessité stratégique impossible à ignorer.
Le professeur en sciences politiques et relations internationales, Abdelrazak Saghour, a déclaré dans une interview accordée à El Khabar « Tous les différends peuvent être résolus par le dialogue et la négociation, à condition qu’il y ait une volonté d’apaisement du côté de la classe politique française. »
Et d’ajouter que « Paris est-elle prête à perdre sa position et ses nombreux intérêts en Algérie pour une affaire comme celle de l’écrivain Boualem Sansal ? »
En cas de rupture des relations, Paris subirait de lourdes pertes à plusieurs niveaux interdépendants. Sur le plan économique, l’Algérie constitue un marché stratégique pour les exportations françaises : médicaments, céréales, automobiles et équipements industriels. Plus de 500 entreprises françaises y sont actives, générant des milliards de revenus chaque année. Toute interruption des relations entraînerait l’éviction de ces entreprises des projets vitaux en Algérie, notamment dans les secteurs de l’énergie et des infrastructures.
De plus, l’Algérie est l’un des principaux fournisseurs de gaz naturel à l’Europe. Toute tension ou rupture pourrait menacer la sécurité énergétique de la France dans le contexte mondial actuel.
Sur le plan géopolitique, la France risquerait de perdre un pied stratégique en Afrique du Nord, une région qu’elle a toujours considérée comme un prolongement naturel de son espace vital. Cela laisserait le champ libre à d'autres puissances comme la Chine, la Russie ou les États-Unis, qui pourraient combler le vide et réduire l’influence traditionnelle française. Ce recul affaiblirait la capacité de Paris à influencer les dossiers régionaux au Sahel, au Sahara et en Libye, d’autant plus que son influence y est déjà en fort déclin.
Sur le plan social, les liens entre la France et l’Algérie sont également profonds en raison de la grande communauté algérienne vivant en France, pilier du multiculturalisme et de l’économie française. Une rupture totale nuirait à la stabilité interne de la France en alimentant les tensions sociales et les discours extrémistes dans les deux pays, tout en entravant la coopération sur les dossiers de la migration, de l'éducation et des échanges culturels.
En résumé, une rupture avec l’Algérie ne serait pas une simple crise passagère, mais un coup dur pour la position de la France en Afrique et une atteinte directe à ses intérêts économiques, énergétiques et culturels. Cela rend le maintien d’un minimum de relations stratégiquement incontournable pour Paris.
Dans ce contexte, le Dr. Abdelrazak Sagour estime que les deux parties ont mal évalué la gestion des différends. Mais si les relations venaient à être rompues, cela signifierait que la France abandonne ses relations et ses intérêts en Afrique, et de même pour l’Algérie vis-à-vis de l’Europe ou de l’Union européenne. Il conclut en affirmant que la rupture des relations entre l’Algérie et la France serait un suicide pour les deux pays.
Une escalade sans précédent
Les tensions ont atteint leur paroxysme après la révélation du contenu d’une lettre adressée par le président Emmanuel Macron à son Premier ministre, contenant des décisions hostiles sur les questions de migration et de visas. L’Algérie a considéré ces mesures comme unilatérales et injustifiées. Le ministère algérien des Affaires étrangères a réagi par deux communiqués successifs, le premier critiquant sévèrement le contenu de la lettre française et rejetant tout chantage politique et le second annonçant l’annulation de l’accord d’exemption de visa pour les détenteurs de passeports diplomatiques et de service français.
La différence de terminologie utilisée par Alger et Paris à propos de l’accord de 2013 sur l’exemption de visa révèle une divergence fondamentale sur le plan juridique et politique. Le terme « suspension », utilisé par la France, signifie en droit international une mesure temporaire, sans résiliation de l’accord. Il peut donc être réactivé une fois les raisons de la suspension levées.
En revanche, le terme « dénonciation », utilisé par l’Algérie, implique une rupture ferme et définitive de l’accord, et donc un retrait de ses obligations, conformément aux procédures prévues par la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969. Cette différence ne se limite pas aux conséquences juridiques, mais reflète également la nature des relations diplomatiques entre les deux pays.
Inquiétudes au sein de la communauté algérienne en France
Le député représentant la communauté algérienne en France, Abdelwahab Yagoubi, a exprimé son inquiétude face aux répercussions de cette escalade, mettant en garde contre l’instrumentalisation des Algériens résidant légalement en France à des fins de pression politique. Il a condamné les sanctions collectives qui touchent les étudiants et les familles à travers la réduction des visas de longue durée, estimant qu’il s’agit d’une violation des accords bilatéraux et internationaux.
Yagoubi a appelé au respect du principe de réciprocité, à l’activation de la diplomatie parlementaire et à l’implication des représentants de la communauté dans toute négociation liée aux politiques consulaires et migratoires. Il a également lié cette escalade au contexte électoral français, soulignant que l’approche des élections locales et présidentielles pousse certains acteurs à utiliser la question migratoire et les relations avec l’Algérie à des fins électoralistes. Il a appelé à l’apaisement et à un dialogue responsable qui préserve les liens historiques et humains entre les deux pays.
Des observateurs estiment que les différends concernant les visas et les passeports ne sont que la partie visible d’un conflit plus profond, lié au refus de l’Algérie de rester sous l’emprise économique de la France. Selon eux, Paris souhaite conserver son monopole sur le marché algérien et ses ressources, ainsi que son rôle traditionnel d’intermédiaire entre l’Algérie et les grandes puissances. Ce rôle a été profondément remis en cause depuis 2019, ce qui a fortement irrité la France. Ces tensions rappellent les crises des années 1970, marquées par la volonté de l’Algérie d’assumer une pleine indépendance économique.
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