Le politologue mauritanien, spécialiste des affaires africaines et sahéliennes, Sultan El-Bane, a avancé l’hypothèse selon laquelle la décision de Moscou de retirer les combattants de « Wagner » reflète une orientation de la Russie à revoir son approche au Mali et à l’adapter à la vision et la conception de l’Algérie. Il a évoqué, dans un entretien avec El Khabar, les facteurs ayant conduit à cette décision.
Du point de vue international, quels sont les facteurs ayant conduit au retrait ou au retrait forcé de Wagner du Mali ?
Il existe de nombreux facteurs interdépendants qui ont mené à ce retrait. En premier lieu figurent les pressions directes de l’Algérie, c’est-à-dire que l’Algérie, dernièrement – en janvier 2025 plus précisément – a signé un accord militaire avec le commandement militaire américain en Afrique, « AFRICOM », ce qui a constitué un tournant stratégique dans les équilibres régionaux et a affecté indirectement l’approche russe dans la région.
Le deuxième facteur est le rejet effectif par l’Algérie de cette présence, en abattant un drone malien à la frontière entre les deux pays, dans le cadre du conflit en cours dans le nord du Mali, en plus d’avoir imposé une surveillance aérienne et terrestre sur ses confins méridionaux.
Sur le plan diplomatique, l’Algérie a activement entrepris des démarches vers Moscou pour faire passer un message de refus, ce qui a poussé le Kremlin à revoir sa politique et son approche dans la région.
Il y a aussi un facteur de terrain, représenté par les pertes subies par les combattants de Wagner sur le plan opérationnel, comme la bataille de Tinzaouatine qui a conduit à la mort d’environ 80 membres de Wagner et d’environ 50 soldats maliens, en plus du gain en armement et logistique militaire des groupes armés.
Finalement, tout cela a créé chez Moscou le besoin de redéployer ses ressources militaires dans la région sahélienne, de manière à s’adapter aux spécificités de la situation et de l’environnement régional.
Ce retrait signifie-t-il l’échec de Wagner dans la réalisation de ses missions ? Et peut-on également y voir un échec de l’approche russe ?
Il ne fait aucun doute qu’il y a des répercussions géopolitiques qui ont conduit à un changement d’approche, parmi lesquelles figure la guerre en Ukraine, qui exerce une forte pression sur le Kremlin, ce dernier ayant choisi de remplacer Wagner par un corps militaire plus structuré, alors que Wagner est une société privée qui s’est rebellée contre Poutine sous la direction de son ancien chef, Evgueni Prigojine.
Aujourd’hui, cette structure est remplacée par un corps plus organisé, directement rattaché au ministère de la Défense, dirigé par le vice-ministre de la Défense, Younes Bakiaf Garov. C’est une tentative d’améliorer l’image de la Russie en Afrique, d’autant que ce corps est présent dans cinq ou six pays principaux de la région sahélienne, ainsi que dans des pays voisins comme la Libye, le Soudan et la Centrafrique.
Ainsi, l’échec cuisant de Wagner à sécuriser certains sites miniers aurifères qu’il a perdus signifie que l’approche russe a été affectée, et que le retrait progressif s’effectue au profit de ce corps africain.
Quant à l’hypothèse d’un échec de l’approche russe, je dirais qu’il y a bien une incapacité opérationnelle de Wagner à instaurer la sécurité au Mali, comme le prouve l’escalade des attaques de la part du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, même dans les environs de Bamako, la capitale. Mais ce changement stratégique ne reflète pas nécessairement un échec total, mais plutôt une préférence pour les missions du corps russe, qui se concentre sur la formation, le conseil, tout en préservant l’influence russe.
Comment voyez-vous la position de l’Algérie et de la France à la lumière de ce retrait ?
Ce qui s’est passé montre un renforcement du rôle de l’Algérie comme puissance régionale active, à travers un mélange de pressions militaires et diplomatiques, qui pourrait forcer Moscou à reconsidérer sa présence, en fonction de la stratégie algérienne, laquelle est fondée sur le développement et la limitation de l’approche militaire.
L’Algérie cherche à combler le vide sécuritaire à travers une coopération avec les pays voisins, comme la Mauritanie, tout en maintenant la priorité aux solutions diplomatiques dans les pays du Sahel.
Quant à la France, elle considère que le retrait de Wagner confirme l’échec du modèle militaire adopté par le Mali après l’expulsion des forces françaises en 2022. On peut donc dire que le retrait de Wagner est le résultat de plusieurs pressions, tout en permettant à la Russie de conserver son influence à travers des instruments plus souples et disciplinés, afin d’améliorer son image, après les massacres et les violations commises par le groupe dans la région.
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