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"Nous sommes en Algérie pour soutenir une reconnaissance claire des massacres du 8 Mai par la France"

Dans cet entretien accordé à El Khabar réalisé à la veille de son arrivée en Algérie, la députée franco-algérienne Sabrina Sebaihi a affirmé que la visite de la délégation française vise également à établir des ponts de dialogue dans le cadre de la diplomatie parlementaire, et ce, dans un contexte de crise actuelle entre les deux pays

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L’Algérie accueille une délégation de 30 députés, sénateurs et élus locaux français, à l’occasion de la célébration de la Journée nationale de la mémoire, coïncidant avec le 80e anniversaire des massacres perpétrés par l’occupation française le 8 mai 1945. Cette initiative intervient dans un contexte de tensions intenses entre les deux pays, ce qui en fait une nouvelle fenêtre pour rétablir les contacts, du moins au niveau parlementaire.

Dans cet entretien accordé à El Khabar, réalisé à la veille de son arrivée en Algérie, la députée franco-algérienne Sabrina Sebaihi a affirmé que la visite de la délégation française vise à soutenir une reconnaissance claire et explicite par les autorités françaises des massacres du 8 mai 1945. Elle cherche également à établir des ponts de communication dans le cadre de la diplomatie parlementaire, dans un climat de crise entre les deux pays.

Originaire de la région de Sétif, Sebaihi a souligné avoir fait de la reconnaissance de la responsabilité de la France dans ces massacres une priorité de son mandat parlementaire, après avoir découvert l’ampleur de ce crime longtemps occulté de l’opinion publique et des programmes scolaires. Le 8 mai y est toujours présenté comme une date de victoire pour la France, alors qu’en réalité, il constitue un chapitre tragique de son histoire coloniale en Algérie.

Vous visitez l’Algérie avec une importante délégation d’élus français à l’occasion de la commémoration des massacres du 8 mai. Quel est l’objectif de cette visite ?

Cette visite en Algérie doit constituer une étape importante dans le long cheminement vers la reconnaissance par la France de sa responsabilité dans les crimes coloniaux commis durant la période de domination coloniale. Il est particulièrement nécessaire de progresser vers une reconnaissance claire et sans ambiguïté de ce qui s’est passé à Sétif, Guelma et Kherrata le 8 mai 1945. Ce jour-là, alors que l’Europe fêtait la fin de la Seconde Guerre mondiale, une répression sanglante s’est abattue sur des civils algériens qui manifestaient pacifiquement pour leurs droits. Ces événements, qui ont fait des milliers de morts, doivent être considérés comme un véritable crime d’État. Il est temps que la France assume cette partie sombre de son histoire, non par culpabilité, mais par devoir de vérité et de justice.

Avez-vous prévu des rencontres avec des responsables algériens ? Votre délégation porte-t-elle une initiative d’apaisement des tensions actuelles entre Paris et Alger ?

Oui, des rencontres sont prévues avec nos homologues du Parlement algérien. À travers cette délégation, nous voulons envoyer un message fort : même lorsque les relations entre les deux gouvernements sont tendues ou gelées, la diplomatie parlementaire reste vivante et joue un rôle fondamental. Il est important de recréer des liens, de reprendre le dialogue et de construire de nouveaux ponts entre nos parlements. Cette démarche vise à apaiser les tensions, à restaurer la confiance et à ouvrir un nouvel espace de débat entre les représentants des peuples français et algérien.

Que représente pour vous la mémoire des massacres du 8 mai 1945 ? Pourquoi en avez-vous fait une priorité de votre mandat parlementaire ?

J’ai découvert l’histoire du 8 mai 1945 relativement tard, car elle ne faisait pas partie de l’enseignement scolaire, qui se concentrait uniquement sur la libération de la France. Pourtant, ce jour a une signification très différente pour de nombreuses familles issues de l’immigration algérienne, dont la mienne. Il représente en réalité le véritable point de départ de la guerre d’Algérie. Ce jour-là, à Sétif, Guelma et Kherrata, une répression coloniale d’une extrême violence a coûté la vie à des milliers de civils algériens. Ce crime, longtemps passé sous silence, demeure largement méconnu du grand public. Étant donné que mes parents sont originaires de Sétif, cette mémoire a pour moi une dimension personnelle et intime. C’est pourquoi j’ai choisi d’en faire une priorité de mon mandat parlementaire : pour dire la vérité, partager cette mémoire et rendre enfin justice à ceux dont l’histoire a été niée.

À travers vos recherches, avez-vous découvert de nouvelles informations sur les massacres ou les responsabilités de l’époque ?

Oui, les recherches et les auditions m’ont permis de découvrir de nombreux éléments encore très peu connus du grand public. En écoutant les historiens et les descendants de victimes, et en consultant des documents d’archives, j’ai pu reconstituer une réalité très sombre, notamment à Guelma, où des milices civiles ont été armées et ont agi en toute impunité. Ces milices ont procédé à des exécutions sommaires, tirant sur des personnes sans procès. Des témoignages évoquent aussi des fours utilisés pour faire disparaître les corps, ce qui montre l’ampleur et la brutalité des crimes commis. Ces atrocités ont été tolérées, voire encouragées, par les autorités françaises de l’époque, avec la complicité active de l’armée coloniale. Ce sont des vérités difficiles à entendre, mais nécessaires pour rendre justice à la mémoire des victimes.

Un projet de résolution a été récemment déposé à l’Assemblée nationale par des députés de La France insoumise, visant à reconnaître la responsabilité de la France dans ces événements. Pensez-vous que cette initiative a des chances d’aboutir ?

Dans le contexte politique actuel, marqué par des tensions persistantes entre Paris et Alger, il semble peu réaliste de penser qu’une telle initiative puisse aboutir rapidement. Tout progrès, qu’il soit symbolique ou législatif, paraît aujourd’hui compromis. Toutefois, cela ne doit pas nous décourager. Il est essentiel de poursuivre le travail pédagogique, de sensibilisation et de conviction sur ces questions. La reconnaissance des crimes coloniaux fait partie d’un long processus difficile, qui nécessite du courage politique et une volonté collective de faire face à notre histoire. Ce n’est qu’à ce prix que nous pourrons tourner cette page sombre sereinement et construire un avenir commun basé sur la vérité et la justice.