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Pourquoi le président Steinmeier éprouve de la honte, tandis qu’Édouard Philippe semble assumer — voire minimiser — les crimes de la France ?

La réponse d'Édouard Philippe à la question "la colonisation est-elle un crime?", a révélé qu’il appartient à la même mouvance que Douste-Blazy, auteur de la loi de « glorification du colonialisme » de 2005

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Le candidat à la présidentielle française pour le parti Horizons, Edouard Philippe a été interrogé sur LCI, sur la nature du colonialisme « Le colonialisme est-il un crime ? ». Sa réponse fut : « Non », dans un acte de dénégation et de reniement qu’aucun autre avant lui n’avait osé.

À l’inverse, le président allemand Frank-Walter Steinmeier, debout devant le célèbre tableau Guernica de Picasso au musée Reina Sofía à Madrid, a déclaré que l’Allemagne ne devait pas oublier le « crime » commis à Guernica, où des centaines de personnes furent tuées lors du bombardement mené par les forces nazies en 1937. Une reconnaissance qui constitue en soi une preuve suffisante que ce qu’a fait la France fut bien plus atroce que le nazisme.

Lors de sa récente visite en Espagne du 26 au 28 novembre dernier, Steinmeier a reconnu que les Allemands avaient commis « d’horribles crimes » dans cette ville, soulignant l’importance de ne pas oublier ce qui s’y est passé. Il a rappelé que Guernica représente un avertissement pour défendre la paix et les droits humains. Il a aussi affirmé que cet événement constitue « un lourd fardeau de culpabilité pour les Allemands », insistant sur la nécessité d’en conserver la mémoire. Il a par ailleurs mis en garde contre « la montée en puissance des mouvements extrémistes et populistes dans nos sociétés », et considéré que ce tableau incarne la souffrance des civils innocents.

Steinmeier ne s’est pas arrêté là : il a décidé de se rendre à Guernica, devenant le premier président allemand à visiter la ville depuis le bombardement qu’elle a subi durant la guerre civile espagnole.

Cette visite hautement symbolique lui a permis d’adresser un message de solidarité et de mémoire aux victimes, exprimant sa compassion envers les survivants et les témoins des atrocités commises à Guernica. Il a déposé une gerbe de fleurs en hommage aux victimes du bombardement. Voilà l’Allemagne — en dépit de tout ce qui a été dit sur son passé nazi — qui s’excuse pour ce que son armée a fait aux habitants de ce village espagnol, et dont le président se recueille sur les victimes, reconnaissant que cela constitue « un lourd fardeau de culpabilité ».

Pendant ce temps, le candidat de droite aspirant à la présidence française, Édouard Philippe, tout en sachant que les crimes de son pays en Algérie furent bien pires que ce qu’a fait le nazisme à Guernica, déclare publiquement que la colonisation française n’est pas un crime. Y a-t-il plus grande forme de « glorification » du colonialisme et de négation de l’histoire que les propos tenus par l’actuel maire du Havre et ancien Premier ministre français ?

La question du journaliste Jean-Michel Aphatie — « La colonisation est-elle un crime ? » — a mis à nu Édouard Philippe et a révélé qu’il appartient à la même mouvance que Douste-Blazy, auteur de la loi de « glorification du colonialisme » de 2005, que ce courant voulait faire adopter à l’Assemblée nationale pour laver la honte de leurs massacres en Algérie — des actes que le président Macron lui-même avait qualifiés, en 2017, de « crime contre l’humanité ».

Philippe n’a pas tenu ces propos pour flatter son électorat ou séduire l’extrême droite en quête d’un blanchiment du passé de Jean-Marie Le Pen et de l’OAS, mais par conviction personnelle, malgré le consensus établi par les historiens français eux-mêmes — tels que Benjamin Stora, Olivier Le Cour Grandmaison ou encore Gilles Manceron — affirmant que ce qu’a fait la France dépasse les crimes nazis.

Jean-Michel Aphatie n’a ni exagéré ni commis d’erreur en déclarant que le nazisme a appris des pratiques françaises lors de l’invasion de l’Algérie, car ce que la France y a commis était un « massacre ». Alors que le président allemand présente des excuses pour ce que les nazis ont fait en Espagne, la France officielle persiste dans son déni et refuse d’avoir honte de son passé sanglant.

Ce que méconnaît ou ignore Édouard Philippe — avec une arrogance et une ignorance mêlées — c’est que l’invasion française de l’Algérie n’a pas été un simple crime, mais des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, dont les conséquences furent dévastatrices pour le peuple algérien. Entre 1866 et 1870, l’Algérie connut une famine meurtrière causée par les politiques coloniales ayant détruit les récoltes. Les historiens estiment qu’environ 500 000 Algériens y périrent, ce qui témoigne de l’impact ravageur de l’occupation française. Si cela ne constitue pas en soi un crime, alors Philippe tente en vain de blanchir un passé indéfendable.

Certes, le groupe qui domine aujourd’hui la prise de décision à l’Élysée et à Matignon est largement influencé par l’extrême droite, le lobby sioniste et l’oligarchie, mais la remarque formulée par le journaliste expérimenté Jean-Michel Aphatie — et ce qui se passe actuellement sur la scène politique intérieure française — montre que « le niveau de bêtise en France monte jusqu’au point du naufrage ».