Société

Les litiges post-divorce enflamment les tribunaux

Des études confirment que les crimes de violence visant les divorcés sont commis par des personnes souffrant de troubles psychologiques.

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La société algérienne a besoin de renforcer la culture de la gestion de l’après-divorce, dans un contexte marqué par la recrudescence des conflits et des violences familiales liés aux procédures de séparation. Le divorce n’est plus un simple acte transitoire, mais devient, dans de nombreux cas, le prélude à des violences graves entre époux, pouvant aller jusqu’à des crimes aggravés.

La femme qui demande le divorce se retrouve parfois exposée à des représailles de la part d’un mari qui n’accepte pas psychologiquement ou socialement l’idée de la séparation. L’homme, de son côté, n’est pas exempt de violences psychologiques dans plusieurs situations. Avec l’explosion des tensions accumulées au moment du divorce, certains conjoints en viennent à commettre des actes réprimés par la loi. Les enfants deviennent alors des instruments de vengeance entre les parents, à travers l’entrave au droit de visite ou la privation de l’un des parents de voir ses enfants, un acte pénalement sanctionné, qui alimente la haine et l’incitation contre le père ou la mère et constitue en soi une violence psychologique à l’encontre du mineur.

Les tribunaux algériens ont enregistré de nombreuses affaires survenues quelques heures seulement avant le prononcé du jugement définitif de divorce, se soldant par des crimes tels que des mutilations du visage, des tentatives de poignardage ou d’homicide, ainsi que des enlèvements d’enfants et des menaces verbales. La fin de la vie conjugale se transforme alors en point de départ de conflits sanglants et de règlements de comptes, donnant lieu à des séparations marquées par la violence et la tragédie. Ces pratiques traduisent non seulement l’effondrement du lien conjugal, mais constituent également une dérive grave par rapport aux finalités du droit et aux principes de justice, et une menace directe pour l’ordre public familial et la protection de l’enfance consacrée par la Constitution et les lois de la République.

L’absence de culture de l’après-divorce, source des conflits familiaux

L’avocat et universitaire Doc Hathout Zinelabidine , également militant des droits de l’homme, reconnaît une augmentation des conflits familiaux en Algérie. Il souligne que le divorce ou El kholaa n’est plus un simple mécanisme juridique mettant fin à une relation conjugale, mais est devenu, dans de nombreux cas, un champ où tous les moyens sont permis, y compris la violence et l’exploitation de l’innocence des enfants à des fins de vengeance.

Dr Hathout classe la phase du divorce parmi les zones à haut risque des relations familiales, où les tensions latentes explosent et poussent certains conjoints à commettre des actes pénalement répréhensibles, quels qu’en soient les motifs. Il précise que les formes les plus graves de violences criminelles sont les violences physiques, que la justice considère comme une double infraction : atteinte à l’intégrité corporelle d’une part, et violation de la sacralité du cadre familial d’autre part. Il s’agit, selon lui, de la forme la plus dangereuse d’agression, incluant les coups, blessures et mutilations.

Il explique que toute personne ayant volontairement porté des coups ou causé des blessures à son conjoint encourt une peine d’un à trois ans de prison si les faits n’entraînent ni maladie ni incapacité totale de travail excédant quinze jours, et de deux à cinq ans de prison si l’incapacité dépasse quinze jours.

Il ajoute que la peine peut aller de dix à vingt ans de réclusion si les coups ou blessures entraînent la perte ou l’amputation d’un membre, la privation de son usage, la perte totale ou partielle de la vue, ou toute autre infirmité permanente. La réclusion criminelle à perpétuité est encourue si les violences volontaires entraînent un homicide involontaire. Il rappelle également que l’infraction est constituée que l’auteur réside ou non sous le même toit que la victime, y compris lorsque les violences sont commises par l’ex-époux, dès lors qu’elles sont liées à l’ancienne relation conjugale.

« L’homme perd sa domination après le divorce »

De son côté, le sociologue Dr Mehdi Hamza Abid, enseignant à l’université de Batna, estime que l’homme divorcé à la demande de son épouse est exposé à des formes de rejet et de stigmatisation sociale, notamment s’il tente de se remarier, ce qui affecte son image et son estime de soi. Il souligne que ce phénomène persiste dans les sociétés dominées par des normes traditionnelles.

Selon lui, l’homme divorcé par sa femme porte une marque sociale assimilée à un échec à préserver son mariage, ce qui peut détériorer ses relations sociales et psychologiques. La société lui attribue alors des étiquettes susceptibles de l’isoler ou de le marginaliser, entraînant une perte de statut social et de respect de soi.

Dans ce contexte, il cite le sociologue Pierre Bourdieu, pour qui la domination masculine ne se limite pas à des pratiques visibles ou à des comportements sociaux, mais constitue un système profondément enraciné dans l’inconscient collectif, amenant la femme à se soumettre à l’homme même lorsque celui-ci est dysfonctionnel. Cette domination renforce la position de l’homme et dévalorise celle de la femme. La virilité devient alors une question de démonstration de pouvoir et de statut face aux autres. Le divorce ou le kholaa apparaît comme une forme de résistance féminine à ce système, menaçant la continuité de la domination masculine et étant perçu comme un échec ou un recul pour l’homme.

Il révèle que certaines procédures de divorce se terminent par des crimes, l’homme considérant que sa dignité a été bafouée, ce qu’il tente de masquer par un héritage culturel fondé sur la domination masculine. Le dérèglement de l’ordre social basé sur cette domination peut ainsi engendrer des réactions criminelles, même si elles mènent à l’emprisonnement.

Le divorce, point de départ de la « blessure narcissique »

Pour la psychologue et psychothérapeute Dr Meriem Massaï, auteure de l’ouvrage Le narcissisme dans les liens familiaux, le divorce ne se conclut pas toujours par une séparation apaisée et un accord juridique. Il peut évoluer vers des formes croissantes de rejet et de violence, allant parfois jusqu’à des meurtres ou des enlèvements d’enfants, comme si la décision de la femme de mettre fin à la relation conjugale devenait une condamnation à mort.

Elle explique que, lorsque la femme décide de divorcer, certains hommes subissent une forme d’effondrement intérieur, non pas parce que la relation prend fin, mais parce que la demande de séparation ébranle leur image sociale. L’homme dépourvu d’équilibre intérieur perçoit le divorce comme une attaque directe contre sa valeur personnelle, ressentant un effondrement de son autorité et une atteinte à son image, ce que la psychologie désigne comme une « blessure narcissique », capable de transformer un mari en colère en un individu prêt à tout pour retrouver un sentiment de contrôle.

Cette blessure devient plus dangereuse lorsqu’elle est associée à une culture enracinée selon laquelle la femme est considérée comme une propriété de l’homme, non comme une personne dotée de volonté propre, mais comme un bien qu’il est en droit de contrôler. Ainsi, lorsque l’épouse annonce son départ, l’homme a le sentiment de perdre un objet qui lui appartenait, et non un être humain ayant fait un choix.

La violence devient alors non seulement une réaction émotionnelle, mais une tentative explicite de reprendre une propriété perçue comme confisquée. La femme, quant à elle, hésite souvent à commettre des actes criminels, par crainte du regard social et des sanctions pénales.

Elle ajoute que l’imaginaire collectif rend l’homme particulièrement vulnérable à une phrase plus que toute autre : « sa femme l’a divorcé ou l’a quitté ». Il ne perçoit pas la séparation comme la fin d’une étape, mais comme une atteinte à sa virilité. À ce stade, la pression de la famille, du voisinage et des collègues s’intensifie, et le refus du divorce devient un acte défensif contre la honte, plutôt qu’un désir réel de préserver le mariage.

Pour faire face à ce phénomène, Dr Massaï préconise le renforcement de l’éducation émotionnelle, en instaurant l’idée que le choix de mettre fin à une relation conjugale ne constitue pas une défaite, mais peut représenter une démarche saine pour les deux parties. Elle insiste également sur l’importance de l’intervention de spécialistes lorsque les tensions conjugales s’aggravent, afin d’aider les conjoints à s’exprimer, à comprendre les motivations de l’attachement excessif et à analyser les sentiments de rejet, de jalousie ou de peur de la perte avant qu’ils ne s’accumulent et ne se transforment en comportements destructeurs.