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Le débat sur l'installation et le retrait de la statue du chef berbère "Koceila" dans la commune de Bouhamama, wilaya de Khenchela, a ravivé une controverse sur les réseaux sociaux, donnant lieu à des échanges polémiques et parfois extrêmes, loin d'une analyse historique calme et objective.
Loin des discussions souvent exacerbées par des passions, des émotions et des rivalités régionales, le docteur et historien Rabah Lounici propose une lecture de l'événement de manière scientifique et objective, soulignant les dangers de telles querelles et leur potentiel d'exploitation dans le cadre de la guerre de quatrième et cinquième génération, selon sa description.
Lounici considère que "la seule entité cherchant à résoudre la crise identitaire et à construire une histoire commune, ce qui peut surprendre certains, est l'État, qui cherche à corriger une erreur commise avant 1988, et non les courants idéologiques en conflit, tels que les islamistes, les modernistes, les progressistes et autres, qui cherchent à réécrire l'histoire selon leurs propres intérêts.
Interrogé sur les raisons pour lesquelles ce genre de débat resurgit chaque fois qu'une statue est érigée ou qu'une question historique est soulevée parmi les algériens, Lounici estime que la situation se serait déroulée normalement si la statue n'avait pas été retirée sous la pression des foules. Il précise que le chef berbère koceila "était un chef musulman qui a contribué, avec sa tribu, à la propagation de l'islam en Afrique du Nord, contrairement à ce que certains pensent", affirmant que son conflit avec le conquérant arabe Okba Ibn Nafaa était "un affrontement politique pour le pouvoir et non un différend religieux".
Selon la méthode de l'historien, il faut revenir aux racines pour comprendre l'affaire, soulignant que "le meurtre de Okba Ibn Nafaa par Koceila était motivé par des raisons politiques et non idéologiques". Lounici s'interroge : "Pourquoi retirer sa statue en le qualifiant de renégat ?" Il dément l'existence de sources historiques prouvant que Koceila ait renié l'islam.
Il rappelle que "les Omeyyades accusaient de renégats tous les chefs qui leur résistaient, comme cela a également été le cas pour Tariq Ibn Ziyad". Lounici présente également des preuves historiques pour soutenir que le retrait de la statue était une erreur, citant notamment la présence de statues de la Kahina, qui résista aux conquérants, et d'autres chefs berbères. Selon lui, la période omeyyade était "plus politique que religieuse", et il rappelle que "les Omeyyades maudissaient Ali Ibn Abi Talib jusqu'à l'arrivée de Omar Ibn Abdelaziz, qui mit fin à ces pratiques".
Lounici ajoute que les habitants de l'Afrique du Nord étaient déjà musulmans avant même les conquêtes omeyyades, citant l'exemple d'une délégation d'habitants d'Afrique du Nord qui s'était rendue auprès du calife Omar Ibn Al-Khattab pour s'informer sur l'islam.
D'un autre côté, l'historien lie ce débat à la "crise berbériste" qui a éclaté en 1949 au sein du Parti du Peuple, dont les répercussions se font encore sentir aujourd'hui. Il explique que la question identitaire ne se posait pas pleinement pendant la période du Parti du Front de Libération Nationale, où existaient des hymnes en arabe et en berbère et où les militants communiquaient dans les deux langues. Cette question a émergé avec l'apparition du nationalisme arabe à travers Messali El Hadj et l'intervention de l'Envoyé de la Ligue Arabe, Abdul Rahman Azzam, qui a demandé la rédaction d'un rapport sur l'histoire de la nation algérienne.
Lounici raconte que Messali avait demandé aux dirigeants de préparer ce rapport, qui couvrait toutes les périodes de l'histoire, y compris l'ère numide. Cependant, lorsque Azzam a vu le document, il a demandé à Messali de retirer la partie concernant l'histoire ancienne, ce qu'il fit pour des raisons tactiques. Cela provoqua le mécontentement des militants de l'époque et déclencha la crise berbère, qui a été exploitée par la France et même par Messali El Hadj pour régler ses comptes avec ses rivaux politiques, une crise qui perdure encore aujourd'hui et est devenue un tabou dans le pays.
L'historien estime que l'erreur n'est pas l'installation de la statue, mais plutôt son retrait, car cela constitue une exclusion de deux dimensions historiques et culturelles d'une partie de la population algérienne. Il précise que "actuellement, il n'y a plus de race pure, ce concept n'est qu'une illusion ; la vérité est que nous sommes Algériens et l'Algérie est algérienne, c'est tout".
Il appelle à dépasser ces querelles identitaires et à laisser les associations jouer leur rôle pour développer les trois dimensions de notre identité : islamique, arabe et berbère, qualifiant ce "triangle d'or" comme la clé de notre nation.
Enfin, Lounici conclut en soulignant que la question identitaire n'est pas une simple question de politique interne, mais une question d'État et de nation, avec des répercussions négatives et inquiétantes. Il appelle à ne pas céder aux pressions idéologiques ou aux foules, affirmant que "la dimension berbère est un symbole de l'Algérie et ne peut être ignorée ou exclue, et l'Algérie n'a pas besoin de ces problèmes identitaires, étant donné ses défis économiques et de développement et les complots qui se trament contre elle. Cela constitue une arme que nous offrons à nos ennemis gratuitement".