"Les mutations professionnelles..., l'autre face de la vie des cadres"

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Les mutations professionnelles touchant les employés des secteurs publics de l’État, qu’il s’agisse de cadres supérieurs, de walis, de directeurs exécutifs, de membres des forces de sécurité, ou encore de fonctionnaires des entreprises pétrolières et autres travailleurs, révèlent une réalité souvent ignorée de ces employés.
L'opinion publique se concentre principalement sur les tâches professionnelles accomplies par ces responsables, quel que soit leur domaine d’activité. L’attention se porte ainsi sur leur environnement de travail, mais leur vie privée et les difficultés personnelles qu’ils affrontent dans l’ombre, loin de leurs familles et de leurs lieux d’origine, restent méconnues.
Il est certain que tout employé affecté dans une wilaya autre que la sienne cache des histoires et des sacrifices, liés à l’éloignement familial. Cette souffrance est encore plus marquée pour ceux qui travaillent à de très grandes distances, dans les profondeurs du désert, sans disposer des conditions de confort et des moyens adéquats pour assurer leurs déplacements.
Tous ceux que nous avons interrogés s’accordent à dire que travailler loin de sa famille et de sa région natale est un sacrifice inestimable, quel que soit le confort, le prestige ou les privilèges du poste occupé.
Pour Toufik, l’éloignement engendre un manque de stabilité qui impacte directement le rendement professionnel. Il raconte que lors d’une mission dans une ville du sud du pays, il avait confié sa femme enceinte à sa famille dans une autre wilaya. Moins d’un mois plus tard, le moment de l’accouchement est arrivé.
Comme il s’agissait de leur premier enfant, des complications médicales sont survenues, aggravées par un manque de prise en charge adéquate. Ne disposant pas de couverture pour une césarienne, il a vécu un véritable cauchemar pendant quatre jours, au point de se sentir anéanti.
Face à l’urgence, Toufik a été contraint de quitter son poste à l’aube sans autorisation et s’est précipité vers la clinique privée où se trouvait sa femme. Sur la route, il a multiplié les appels désespérés à ses proches pour réunir les fonds nécessaires à l’opération, et ce n’est qu’après avoir eu des nouvelles rassurantes de son épouse et de son nouveau-né qu’il a retrouvé un semblant de calme.
Dans le même contexte, Toufik a évoqué les mutations forcées et leurs répercussions sur la scolarité des enfants. Il souligne les difficultés majeures liées à leur transfert vers une nouvelle école, notamment en raison des procédures numérisées. À cela s’ajoute le problème du logement, qui pousse les employés à louer dans des conditions souvent déplorables, tout en étant contraints de déménager fréquemment d’un logement à un autre.
Notre interlocuteur a souligné que certains cadres et employés bénéficient de mutations près de leur lieu de travail, par exemple dans les environs de la capitale où ils peuvent rester pendant des années. En revanche, lorsqu’un employé est muté d’une wilaya semi-saharienne vers un point extrême du désert algérien, connu pour son immensité, cela s'apparente à une sanction.
Il ajoute que d'autres employés sont affectés à des wilayas situées à 200 ou 300 kilomètres de leur poste actuel. Par conséquent, ils préfèrent ne pas déplacer leurs familles, mais sont contraints, chaque fin de semaine, de parcourir de longues distances pour passer 48 heures avec leurs enfants, en affrontant les risques de la route.
Dans ce contexte, Abdelkrim raconte son parcours de 25 ans passé au cœur du désert, au sein d’une compagnie pétrolière, où il travaille selon un régime de "un mois de travail pour un mois de repos".
Selon lui, l'éloignement de la famille est un véritable enfer. Il explique que lorsqu'il apprend qu’un membre de sa famille est malade ou victime d’un incident, il ressent une anxiété extrême. Avec le temps, et sous l’effet des pressions, cela conduit à des maladies comme le diabète ou l’hypertension artérielle, car il est difficile de garder son calme lorsqu’un parent, un conjoint ou un enfant est touché par un problème de santé.
L’intéressé évoque une expérience où il a enduré l’amertume de vivre loin de sa famille. Abdelkrim souligne un point essentiel lié au suivi des enfants dans leur éducation et leur épanouissement. L’absence du père peut parfois mener à la dérive des enfants, selon lui.
Il s’interroge alors sur la capacité des mères à assumer seules cette responsabilité et à réussir dans cette tâche délicate. Il remarque également que les enfants grandissent sans que l’on s’en aperçoive, et cela vaut dans les deux sens : comment perçoivent-ils cette absence ?
Bien qu’il reconnaisse que les conditions matérielles (nourriture et logement) soient assurées, Abdelkrim estime que travailler dans le désert donne l’impression de vivre en exil, même si l’on reste dans son propre pays.
Tarek, un infirmier que le destin a envoyé dans une région reculée du désert, partage avec nous une partie de ses souffrances liées à l’éloignement familial et à l'absence de la chaleur familiale. En plus des conditions de vie difficiles, il est contraint de manger des repas rapides, souvent peu hygiéniques et répétitifs. Son quotidien se résume à aller de son lieu de travail au café et au restaurant, et il ressent un manque profond de moments conviviaux avec ses amis et ses proches.
Tarek évoque également des difficultés pratiques, comme le manque de vols plusieurs jours par semaine. En cas de nécessité, il doit parcourir de longues distances en taxi ou en autobus pour rejoindre son lieu de travail.
Il conclut son récit en racontant une anecdote amusante sur l'une de ses voyages de retour où il a dû parcourir environ 1500 km en voiture. Lors d’un contrôle de la gendarmerie, un gendarme lui a demandé de l’accompagner, car sa femme avait été hospitalisée pour accoucher. Alors qu’ils roulaient, le gendarme a reçu un appel vers 4 heures du matin, lui annonçant que sa femme venait de mettre au monde une fille. La joie était telle qu'à leur arrêt dans un café, il a payé pour tous les clients présents.
"L'absence du père..., un prix cher payé par la famille et la société"
La psychologue, Imane Jebari, a souligné que l'absence du père en raison du travail, notamment dans des lieux éloignés de la famille, est un problème croissant nécessitant des solutions urgentes. Ces dernières années, de plus en plus de pères sont absents de leurs foyers en raison des exigences professionnelles et des déplacements fréquents, ce qui suscite une inquiétude majeure quant aux effets négatifs de ce phénomène sur la structure et la cohésion familiales. L'absence du père, qui joue un rôle fondamental dans le développement de la personnalité de l'enfant, crée un vide émotionnel et social difficile à combler.
Elle ajoute que le père joue un rôle central dans la vie familiale, étant le symbole de l'autorité et de la loi, celui qui établit les règles et définit les comportements acceptables et inacceptables. L'absence du père augmente les risques de troubles comportementaux chez les enfants, tels que l'agressivité et le repli sur soi, en raison de l'absence d'un modèle à suivre.
Le manque du père a également un impact négatif sur la performance scolaire des enfants, car ils manquent du soutien et des orientations nécessaires. Certains enfants peuvent se tourner vers des comportements à risque, cherchant à combler ce vide et à trouver un sentiment d'identité et d'appartenance.
Selon la spécialiste, la présence du père est un facteur clé de sécurité et de stabilité pour les enfants. En son absence, les enfants peuvent ressentir des sentiments négatifs, tels que la peur et l'anxiété, ce qui peut entraîner des troubles psychologiques ayant des répercussions sur leur présent et leur avenir.
Elle a également précisé que le père est le premier modèle pour l'enfant, l’aidant à construire sa personnalité et à guider son comportement. Son absence pousse les enfants à chercher des modèles ailleurs, qui peuvent ne pas être sains ou sûrs, et qui peuvent parfois être négatifs.
D'autre part, Imane Jebari a souligné que la mère se retrouve entre l'acier de la responsabilité et le marteau de la nostalgie. Elle porte le fardeau de la responsabilité de l'éducation des enfants en l'absence du père, ce qui augmente la pression psychologique sur elle et l'empêche de fournir à ses enfants toute l’attention émotionnelle et psychologique dont ils ont besoin, entraînant ainsi un déséquilibre au sein de la famille.
Quant au père absent, elle a indiqué qu’il est également victime de l'isolement. Ce n’est pas seulement les enfants qui souffrent de l'absence du père, mais aussi ce dernier qui ressent une séparation et un isolement de sa famille, affectant ainsi ses relations sociales et émotionnelles.
En conclusion, Imane Jebari a affirmé que l'absence du père dans la famille représente un défi majeur pour la société et a appelé à l’implication de toutes les parties concernées. Il est nécessaire de mettre en œuvre des efforts conjoints pour limiter les effets négatifs de ce phénomène et de garantir un environnement sécurisé et stable pour les enfants, afin qu'ils puissent recevoir les soins et l'amour nécessaires à un développement sain.