Interview réalisée par : Kheira Laâroussi
Le secrétaire général de l’UGTA, Amar Takdjout, a salué les augmentations de salaires annoncées par le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, à partir de l’année prochaine. Dans un entretien accordé à El Khabar, il appelle le secteur économique à engager des négociations avec les représentants des travailleurs, afin de « prendre le pouls » des entreprises et évaluer leur santé financière, et pourquoi pas, selon lui, décider d’augmentations similaires dans les limites du raisonnable et du possible.
Il a également révélé qu’une rencontre bilatérale avec la Confédération des employeurs est prévue avant la fin de l’année pour discuter de l’organisation d’une tripartite dans le contexte actuel. Concernant la digitalisation, un dossier prioritaire pour le président, Takdjout souligne que tout le monde est responsable de la mener à terme, malgré les résistances constatées ici et là.
Vous avez récemment révélé de nombreux dysfonctionnements au sein de l’UGTA avant votre élection. Quelle est l’ampleur de ces irrégularités ?
Effectivement. C’est ce qui a été consigné dans le rapport moral et financier que j’ai présenté récemment aux secrétaires des fédérations et unions nationales. Nous avons hérité d’une situation non conforme aux statuts de l’union : 38 unions de wilayas et 18 fédérations nationales opéraient en dehors de toute légalité. Il manquait également des documents comptables précis, les rapports financiers annuels étaient en retard, et certaines dépenses n’étaient pas justifiées.
Nous avons même découvert une dette extérieure de 70,4 millions de dinars, et des créances non remboursées envers l’UGTA, totalisant 154 millions de dinars, dues par des unions de wilayas. Cela nous a conduits à saisir la justice pour statuer sur ces infractions.
Est-ce cela qui vous a poussé à « remettre de l’ordre » au sein de l’organisation ?
Oui. Il était impératif de faire un bilan général de la situation de l’UGTA, avec ses points positifs et négatifs. Le pilier de notre démarche est de récupérer les acquis et traditions de l’union, notamment le dialogue, la concertation, la réflexion et la production d’arguments solides pour négocier avec nos partenaires sociaux.
J’ai aussi demandé à tous les cadres et syndicalistes de revoir leurs mentalités et méthodes de travail. Il est impossible de colmater les brèches sans éliminer les pratiques parasites qui ont nui à l’ambiance, non seulement au sein de l’organisation, mais aussi dans le pays, à cause de certains individus mal intentionnés qui cherchent à déstabiliser l’État et l’UGTA.
Vous avez donc un grand chantier devant vous ?
Absolument. Nous voulons en finir avec l’hypocrisie et l’égoïsme qui gangrènent l’UGTA. Certains cadres refusent d’appliquer les statuts internes et les lois de la République, mais exigent que les autres les respectent. C’est inacceptable.
Un exemple clair est la loi 23/02, que nous avons appliquée malgré une forte résistance. Mais nous n’avons pas reculé, car la force d’un État réside dans le respect de ses lois, et dans la création d’un climat favorable à la confiance entre le peuple et ses dirigeants.
Comment se déroule le renouvellement des mandats des structures syndicales ?
Nous avons appliqué la loi, remplacé les 18 fédérations, nommé de nouveaux responsables tout en respectant les dispositions de la loi 56 limitant les mandats. Nous avons aussi découvert des fraudes : des personnes ont été réélues illégalement, car il n’existait aucun document prouvant leur ancien mandat. Après enquête, il s’est avéré qu’elles n’avaient pas le droit de se représenter, selon la loi 23/02 et les informations obtenues auprès des administrations de tutelle.
Et concernant les relations avec les partenaires sociaux ?
Les approches varient : certains ministères ont une culture du dialogue, d’autres la rejettent. Certains ministres ignorent les conférences sectorielles, ce qui nuit gravement à leurs employés. Nous demandons l’ouverture du dialogue, comme l’a recommandé le président à plusieurs reprises.
Le président Tebboune a récemment annoncé des augmentations salariales, y compris pour les retraités. Votre réaction ?
Ces augmentations sont stratégiques. Elles concrétisent les engagements du président en faveur de la dignité des travailleurs et du maintien du caractère social de l’État. Elles visent aussi à protéger le pouvoir d’achat face aux mutations économiques.
Et pour les travailleurs du secteur économique ?
Je précise que dans ce secteur, les hausses salariales sont liées à des négociations et conventions collectives. Aucune entreprise ne peut augmenter les salaires sans marge financière suffisante. Il faut mettre en place des mécanismes pour créer des revenus à redistribuer, sans attendre de soutien de l’État, car ce secteur doit créer de la richesse, pas en consommer. Les augmentations doivent donc être liées à la productivité et à la santé financière des entreprises, avec l’implication des travailleurs eux-mêmes.
Le dossier des corps communs est en suspens. Des nouvelles ?
Oui, ce dossier connaît des retards pour des raisons techniques ou juridiques. Mais nous nous engageons à le résoudre rapidement pour garantir l’égalité et la justice sociale. Un comité de l’UGTA travaille déjà à comparer leur situation avec les autres catégories et à proposer des solutions concrètes.
L’UGTA participe traditionnellement aux réunions tripartites. Y en a-t-il une prévue ?
Aucune tripartite ne peut se tenir sans une base solide et un programme bien préparé entre les parties. Pour l’instant, nous n’en sommes pas là. Une rencontre bilatérale est prévue avec la confédération patronale d’ici la fin de l’année pour évaluer la nécessité d’une tripartite, selon les données nationales disponibles.
Quelle est votre approche pour concilier défense des droits des travailleurs et soutien aux efforts de développement de l’État ?
Nous pensons que défendre les droits des travailleurs ne s’oppose pas au développement national. Au contraire, notre discours est réaliste et responsable. Nous croyons à une véritable synergie entre syndicats, entreprises et État, avec des solutions pratiques et durables au lieu de simples revendications.
Le président a fixé une échéance pour la généralisation de la digitalisation. Quelle est votre position ?
La digitalisation signifie transparence, notamment pour les dossiers sensibles comme les finances. Mais elle rencontre encore de la résistance. Les réformes lancées par le président dans ce domaine sont majeures et doivent être soutenues par tous. Il faut éliminer les blocages et avancer dans le processus de réformes structurelles.
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