Monde

Protestations au Maroc : le régime du Makhzen se désagrège

La présidente de l'Association marocaine des droits humains, Souad Brahma, a déclaré dans des propos à la presse que "les arrestations ont été nombreuses et une grande violence a été exercée contre les manifestants"

  • 67
  • 4:07 Min

Les manifestations de la "Gen Z" se sont poursuivies pour le deuxième jour consécutif dans plusieurs villes marocaines, malgré une répression sévère et de nombreuses arrestations. Ces événements ont attiré une attention médiatique internationale croissante, ce qui est interprété comme un signe de doute croissant à l’échelle mondiale quant à la capacité du régime marocain – miné par des conflits internes – à maîtriser la situation et à répondre aux revendications des jeunes, qui rejettent les dépenses liées à la Coupe du Monde au détriment des services de santé et de la résolution de leurs problèmes socio-économiques.

Hier, dans plusieurs villes marocaines, de jeunes manifestants sont descendus dans la rue pour dénoncer la précarité, le chômage record, et pour réclamer une amélioration des systèmes éducatif et de santé. Ces manifestations ont été durement réprimées par les forces de l’ordre.

Le bureau de l’Association des jeunes avocats de Casablanca a annoncé sa disponibilité à défendre tous les manifestants arrêtés, qualifiant ces arrestations d’arbitraires. Dans un communiqué, les jeunes avocats ont condamné la répression violente de rassemblements pacifiques réclamant des droits fondamentaux reconnus à la fois au niveau international et constitutionnel, dénonçant les méthodes autoritaires utilisées contre les jeunes et les femmes.

Les avocats ont rappelé que la liberté d’expression et de manifestation pacifique est un droit universellement reconnu, et que répression et violence ne sauraient constituer une solution pour faire taire des revendications sociales légitimes. Ils ont mis en garde contre une régression dangereuse des acquis en matière de droits humains au Maroc.

De son côté, la présidente de l’Association marocaine des droits humains, Souad Brahma, a déclaré à la presse "il y a eu de nombreuses arrestations et une grande violence a été exercée contre les manifestants, qui réclamaient pourtant des droits simples et justes comme l’accès à la santé et à l’emploi."
Elle a souligné que des dizaines de jeunes ont été arrêtés dans plusieurs villes, certains ayant été libérés, tandis que d’autres devaient être présentés devant le tribunal aujourd’hui ou demain.

Selon des médias marocains, près de 50 jeunes seraient en attente de présentation devant le parquet, principalement à Casablanca et Rabat.

Dans une lecture politique de la situation, Nabila Mounib, députée du Parti socialiste unifié, a déclaré "ces protestations lancées par la Génération Z sont un véritable signal d’alarme auquel le gouvernement doit prêter attention."
Elle a souligné que ce mouvement est né en dehors des cadres traditionnels, affaiblis par l'État "les partis ont été vidés de leur substance et la société civile réduite à un rôle symbolique."
Dans un entretien avec le journal "Sawt Al-Maghrib", Mounib a mis en avant l’aggravation des inégalités sociales et régionales, la montée du chômage et la détérioration des services publics, notamment en matière de santé et d’éducation, même dans les grandes villes. Elle a dénoncé la montée de l’analphabétisme et le décrochage scolaire comme indicateurs de l’échec des politiques publiques.

Elle a ajouté "gouverner ne signifie pas dominer, arrêter ou réprimer les citoyens, mais plutôt servir leurs intérêts."
Appelant à une approche politique et sociale plus sage que la simple réponse sécuritaire, Mounib a pointé la responsabilité conjointe des gouvernements successifs et de l'État profond dans l’affaiblissement des institutions intermédiaires, poussant les jeunes à chercher de nouvelles formes d’expression.

Ce qui frappe dans cette séquence de protestations, c’est l’écho retentissant qu’elle a trouvé dans les médias internationaux.

Le Washington Post titrait "des jeunes Marocains affrontent la police pour dénoncer les dépenses liées aux stades et la détérioration du système de santé."

The Independent (Royaume-Uni) écrivait "des Marocains affrontent la police lors de manifestations contre les dépenses pour la Coupe du Monde."
Russia Today publiait un reportage sous le titre "des hôpitaux avant des stades : manifestations des jeunes au Maroc contre les priorités du gouvernement."
Des agences comme Associated Press, EFE (Espagne) ou encore France 24 ont mis en avant l’ampleur des interventions policières et les arrestations. Environ 11 villes marocaines ont vu des protestations avec des slogans dénonçant la "mauvaise hiérarchisation des priorités budgétaires".

Selon EFE, à Rabat, les autorités ont rapidement encerclé les zones de manifestation, dispersé les foules et arrêté de nombreux participants, malgré le caractère pacifique des rassemblements et l’absence de revendications politiques explicites.

France 24 a axé sa couverture sur les arrestations, les mettant en perspective avec les revendications sociales des jeunes.

Enfin, dans un communiqué, les jeunes de la Génération Z ont annoncé leur intention de poursuivre les manifestations ce lundi, tout en adaptant leur stratégie : les lieux de rassemblement ne seront annoncés qu’à la dernière minute, pour déjouer les blocages policiers.

Ces événements interviennent dans un contexte particulièrement sensible pour le royaume de Mohammed VI, dont la santé se dégrade selon certaines sources. En toile de fond, une guerre ouverte au sein de la famille royale sur la question de la succession, et des luttes de pouvoir entre les services de sécurité, parfois soutenus par des acteurs extérieurs, laissent entrevoir un régime en crise profonde et désormais vulnérable à tous les scénarios.