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Maroc : la guerre des services de renseignement s’intensifie

Manœuvres ouvertes entre les conseillers de Mohammed VI et les services secrets

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Comme nous l’indiquions dans un précédent article daté du 19 mai 2025, intitulé « Guerre au sein des services de renseignement marocains : offensive ouverte sur le trône entre El Himma, Hammouchi et Mansouri », la fuite de l’ex-numéro deux de la DGED (Direction générale des études et de la documentation), dirigée par Yassine Mansouri, n’a pas encore livré tous ses secrets. Elle a, en revanche, intensifié la lutte interne au sein des services marocains, sur fond de conflit de succession entre le fils du roi Mohammed VI et son frère Moulay Rachid.

Les manœuvres sont désormais à découvert entre les conseillers royaux, les services de renseignement, et certains cercles économiques et politiques proches du palais. Chacun tente de gagner du terrain dans l'entourage du souverain ou de renforcer sa position en prévision de l’après-Mohammed VI.

Au cœur de cette bataille d’influence :Abdellatif Hammouchi, patron de la DGSN (police nationale) et de la DGST (renseignement intérieur, contre-terrorisme), et Yassine Mansouri, directeur de la DGED, le renseignement extérieur, et ami d’enfance du roi.

En 2022, Mansouri est impliqué dans le scandale du « Marocgate », une affaire de corruption impliquant des lobbyistes ayant soudoyé des eurodéputés et des journalistes pour promouvoir le plan marocain d'autonomie au Sahara occidental.

Mansouri aurait alors accusé Hammouchi d’avoir transmis les informations aux autorités judiciaires belges dans le but de le compromettre. Hammouchi, de son côté, aurait été cité dans l’enquête, ce qui l’aurait poussé à suspendre la coopération sécuritaire et migratoire avec la Belgique, afin d'exercer une pression politique pour enterrer le dossier.

Un autre épisode révélateur : l’achat discret, en 2020, par la monarchie marocaine, d’un somptueux hôtel particulier au cœur de Paris pour 80 millions d’euros, par le biais de la société immobilière Deschanel, gérée par Mohammed Mounir Majidi, secrétaire particulier du roi.

Ce bien de plus de 1 600 m², avec jardin, terrasses et suites luxueuses, aurait servi de base d’opérations pour des missions de renseignement de la DGED en France. Mais une fuite d’informations sur la véritable identité du propriétaire aurait mis fin à son usage à des fins d’espionnage.

Des sources proches de la monarchie, citées par le journal espagnol El Español, confirment que le bien était destiné aux activités de renseignement extérieur, ce qui illustre la volonté du régime de garder un œil sur la France, malgré la dégradation des relations bilatérales — notamment après les accusations d’espionnage de l’Élysée via le logiciel Pegasus en juillet 2021.

Hammouchi n’est pas seulement l’homme de la répression des opposants, militants et journalistes — il est également au cœur du scandale d’espionnage international Pegasus.

Il se donne l’image d’un homme d’État, apparaissant dans les tribunes de stades, lors d’événements officiels où le roi est absent, accueilli comme un chef de gouvernement, voire comme une figure quasi présidentielle.

En mai 2024, le site Maghrebi.org s’interrogeait « Hammouchi prépare-t-il un coup d’État déguisé, susceptible de plonger le pays dans un chaos dont ni Londres, ni Paris, ni Washington ne sauraient sortir ? »

Des sources marocaines affirment qu’Hammouchi préparerait le terrain pour l’accession au trône du prince Moulay Rachid, frère du roi. Un scénario qui rappelle l’époque d’Hassan II, lorsque son tout-puissant ministre de l’Intérieur, Driss Basri, avait publiquement exprimé sa préférence pour Moulay Rachid au détriment de Mohammed VI.

À l’opposé, Yassine Mansouri jouerait la carte du prince héritier Moulay El Hassan, fils du roi. Il le formerait personnellement, s’assurant que la lignée directe garde le trône.

Derrière Hammouchi, on retrouve Fouad Ali El Himma, surnommé "le vice-roi du Maroc", ancien chef de cabinet de Mohammed VI et conseiller influent depuis 2011. Jadis figure dominante de l’entourage royal, il aurait perdu de son influence au profit de Mansouri, dont le budget des services secrets extérieurs (DGED) dépasse désormais celui de la DGST, le renseignement intérieur.

La récente défection de Mehdi El Hajjaoui, ancien haut responsable, met en lumière la fracture profonde entre les deux piliers du renseignement marocain. Cette affaire illustre la perte de contrôle du régime sur ses élites sécuritaires et stratégiques.

El Hajjaoui, qui entretient des contacts solides en Europe, a demandé l’asile politique. Il est défendu par des avocats de renom qui dénoncent des persécutions politiques et personnelles, renforçant ainsi l’impact de l’affaire dans les médias européens.

Cette affaire pourrait entraîner des enquêtes parlementaires au sein de l’UE, voire des procédures judiciaires ou des demandes d’extradition, mettant le régime marocain en position défensive sur la scène internationale.