À travers son entretien clair et franc avec El Khabar, le recteur de la mosquée de Paris, Chamseddine Hafiz, trace une feuille de route complexe reliant foi et citoyenneté, traditions et modernité.
La Grande Mosquée de Paris : bien plus qu’un lieu de prière
Le recteur Hafiz insiste sur le fait que le rôle de la mosquée dépasse ses murs religieux. Il s’agit d’un centre culturel, social et intellectuel, œuvrant à la création d’un consensus, en soulignant que « le vrai dévot est d’abord un acteur de consensus ».
La mosquée cherche à être un espace réunissant croyants et non-croyants, ainsi que des musulmans de divers horizons, afin de bâtir « ce partenariat vivant du pays », tout en corrigeant les stéréotypes « il dit ce que l’Islam n’est pas ».
Face au discours de haine, la mosquée offre une image d’un islam basé sur l’humilité, la miséricorde, le partage et la lutte contre l’islamophobie. Hafiz souligne une vérité simple mais souvent oubliée «les musulmans de France sont des citoyens. Ils construisent, créent, soignent, enseignent, aiment ».
Pourtant, leur loyauté est constamment mise à l’épreuve et ils doivent souvent prouver leur appartenance à la communauté nationale d’une manière que aucun autre citoyen ne subit.
Le recteur de la mosquée de Paris ajoute « c’est pourquoi je vous dis que le rôle de la mosquée de Paris à ce niveau est important, car ici, ils souffrent d’une grande crise identitaire et religieuse, et nous vivons cela de manière concrète ».
Formation des imams : priorité nationale pour lutter contre l’extrémisme
Hafiz estime que l’éducation et la formation sont les armes les plus puissantes pour lutter contre l’extrémisme, surtout lorsque celui-ci est passé d’un phénomène importé à un phénomène « né localement ».
Le projet de l’école nationale Ibn Badis est au cœur de cet effort et représente une approche intégrée : il ne se limite pas aux sciences religieuses, mais inclut la laïcité de l’État, le droit français et des cours non religieux pour renforcer l’intégration républicaine, ainsi que l’enseignement de la langue arabe.
Le modèle a été étendu : cinq antennes ont été créées en dehors de Paris (Marseille, Lille, etc.) et attirent des jeunes français francophones, ce qui nécessite le développement de sections d’enseignement de l’arabe parallèlement à l’enseignement en français, tout en garantissant l’autofinancement. Ces projets sont en partie financés par les revenus liés à la certification « halal », ce qui leur confère autonomie et dimension d’investissement social. Hafiz insiste :
« Depuis mon arrivée, j’ai fait de la formation une priorité absolue ».
La certification « halal » : débat économique et identité religieuse
La question de la certification halal est l’un des dossiers majeurs sur lesquels Hafiz s’est concentré. Il défend fermement les procédures de la mosquée, soulignant leur transparence et leur légitimité « tout a été fait selon les normes depuis 2022, l’Union européenne a été informée, et le ministère français de l’Économie n’a relevé aucune illégalité dans les procédures ».
Hafiz rappelle que, en tant qu’avocat, il a veillé dès le premier jour à déclarer les contrats et à informer les autorités compétentes, tout en orientant les revenus vers l’intérêt général. Il précise « les recettes sont utilisées à des fins islamiques en France ».
Il cite des exemples concrets : distribution de milliers de repas solidaires pendant le Ramadan, création d’un centre de formation pour imams à Vitry-sur-Seine dans une ancienne consulat, et ouverture d’une épicerie solidaire dans le quartier Barbès pour aider les nécessiteux « nous avons mené des actions caritatives là-bas. La deuxième institution que nous avons reçue du président était une petite boutique au cœur de Barbès. Je considère que la présence ici est importante, car les Algériens passaient tous par Barbès. Nous avons donc créé une épicerie solidaire. L’idée est de permettre l’achat de produits à très bas prix, grâce à des centres d’approvisionnement spécialisés ».
Le centre de formation pour imams est décrit comme « un bâtiment ultramoderne, dédié à la formation des imams et au soutien des mosquées. Nous organisons des conférences et avons créé un laboratoire à l’intérieur ».
Hafiz précise que « la gestion de la certification halal reste un sujet discuté. Il y a d’abord une dimension économique, car le secteur de la certification génère beaucoup d’argent. Oui, nous faisons face à des attaques. Je ne suis ni homme d’affaires ni commerçant. Lorsque le président m’a confié cette mission, c’était ma mission : contrôler au mieux le processus de certification dans la limite des moyens techniques disponibles, que ce soit dans l’abattage ou les autres étapes, pour garantir que l’on mange halal ».
Il admet que l’entrée de la Grande Mosquée sur le marché de la certification a perturbé celui-ci, auparavant dominé par d’autres acteurs, générant une forte opposition de certains intérêts économiques. Hafiz insiste sur le respect de normes strictes, défendant la précision de la certification et la coopération avec un laboratoire international, tout en refusant l’utilisation de l’électronarcose pour l’abattage.
Le voile : liberté personnelle et discrimination professionnelle
Hafiz raconte l’histoire d’une jeune diplômée voilée dans le secteur de l’énergie nucléaire, refusée par toutes les grandes entreprises à cause de son voile, qui finit par travailler dans la garde d’enfants « pour moi, une fille comme celle-ci est une perte pour nous… Il faut dépasser ces exemples ».
Il souligne que la République doit protéger tous ses citoyens et que les femmes voilées ne doivent pas être stigmatisées, en pointant une contradiction sociale : les familles françaises aisées recherchent des nounous musulmanes pour leur éthique, mais ferment les portes dans les secteurs où elles sont qualifiées.
Islamophobie et identité fragmentée : racines de la crise
Hafiz explique clairement les racines de l’islamophobie, présentant le musulman comme étranger et illustrant le conflit identitaire auquel fait face la jeunesse musulmane en France, confrontée à une « profonde crise identitaire ». Le musulman est souvent rejeté et peut se tourner vers des formes extrêmes de religiosité pour obtenir reconnaissance.
Il évoque les efforts de la mosquée d’Alger et souligne « la communauté musulmane est faible et doit s’améliorer de l’intérieur pour pouvoir émerger. Partout en France, les musulmans restent en position inférieure ou faible. »
Dans le domaine médical, par exemple, six chefs de service, tous musulmans, ont été réunis. Une commission d’éthique a été créée, et l’hôpital Ibn Sina, le premier hôpital musulman, a été établi après la fondation de la mosquée de Paris. Hafiz ajoute « nous sommes le plus grand groupe musulman en Europe ».
Tensions historiques et politiques
Hafiz souligne que la Grande Mosquée de Paris, en raison de ses liens historiques avec l’Algérie, agit comme « un paratonnerre », attirant les tensions entre la France et l’Algérie, notamment en lien avec la position algérienne sur la Palestine.
Il cite le livre Le Prénom de l’écrivain algérien Murad Murad « il documente comment les élèves issus de l’immigration sont orientés vers des filières techniques dès le plus jeune âge, limitant leurs chances. Pour lutter contre la discrimination, il faut utiliser le savoir et les sciences : c’est le seul chemin vers l’excellence académique et professionnelle ».
Hafiz souligne enfin l’importance d’adapter intelligemment le discours religieux « un grand projet de rénovation du discours religieux est en cours pour l’adapter à la réalité des musulmans en Europe, avec l’aide de savants religieux, afin de traiter des questions comme les transactions financières, le mélange hommes-femmes, et l’investissement dans la santé et l’éducation ».
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