Société

Saviez-vous que Constantine possède un réseau de tunnels ?

La plupart ont été fermés par la colonisation française…, voici leur histoire.

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Constantine, dont la vieille ville révèle ses secrets à chaque occasion, est l’une des rares cités au monde à concentrer dans ses entrailles une histoire plurimillénaire et une géographie unique façonnée par la nature. On la surnomme la ville des ponts suspendus, la ville des rochers et la ville des sept portes, mais elle possède aussi un autre visage, discret et secret, que beaucoup ignorent : la ville des tunnels, qui s’étendent sous le cœur de sa vieille cité, sur une superficie équivalente à celle de l’urbanisme visible en surface, et pouvant même dépasser ses limites.

Constantine, ou l’antique Cirta, n’est pas seulement un ensemble urbain racontant l’histoire des civilisations qui s’y sont succédées ; c’est un espace qui continue de dévoiler ses mystères à mesure qu’on s’enfonce dans ses ruelles, qu’on contemple ses ponts ou qu’on touche les pierres de ses habitations anciennes. Sa vieille ville, malgré son ancienneté, demeure vivante, vibrante, refusant d’être une cité figée dans le passé. Ses ponts constituent la première destination des visiteurs, tandis que beaucoup ignorent les secrets qu’elle recèle.

Ces dernières années, Constantine connaît un retour notable des touristes et un regain d’activité touristique. Dès l’entrée dans la ville, on découvre des centaines d’étrangers autour des ponts suspendus reliant les différentes parties de la cité au-dessus de Oued Rhumel. Ils racontent l’histoire d’un défi lancé par l’homme à la nature : du pont Sidi M’Cid au pont Sidi Rached, en passant par Bab El Kantara et le pont des Chutes, se dessine un réseau de passages suspendus reliant rocher à rocher, passé à présent, mémoire d’époques entières.

La vieille ville de Constantine est naturellement fortifiée par les rochers qui l’entourent, lui offrant une protection naturelle au fil des siècles. La nature a influencé sa structure et a contribué à créer les premiers tunnels bien avant leur forme actuelle. La ville était connue depuis l’Antiquité pour ses passages naturels et d’autres creusés dans la roche pour faciliter les déplacements, le commerce et la défense. Ces mêmes passages s’étendent aujourd’hui sous la ville ancienne sur une superficie presque équivalente à celle construite au-dessus. On raconte qu’ils s'étendent au-delà des remparts de la ville et même de la wilaya, jusqu’aux frontières de wilayas voisines.

Ces tunnels ne sont pas de simples cavités rocheuses, mais une immense archive souterraine des civilisations passées : romaine, islamique, ottomane et française. Ce sont des galeries dont nul ne connaît entièrement l’issue, permettant à Constantine de réécrire une partie de son histoire et d’ajouter des détails restés inconnus, souvent révélés lors de la restauration d’une maison ancienne ou au cours de travaux qui mettent au jour de nouvelles découvertes.

« La France en a fermé 90 % »

Dr Haïdar Rouag, expert en archéologie, explique dans un entretien avec El Khabar que le cœur de la vieille ville de Constantine est construit sur un rocher d’une beauté naturelle remarquable, d’une superficie de 85 hectares. Son sous-sol renferme un grand nombre de grottes et de cavernes adjacentes et interconnectées, utilisées à travers les âges à des fins diverses. Ces cavités, nées de formations naturelles et d’érosions du calcaire et de roches volcaniques, se trouvent en plusieurs points de ce massif rocheux.

Certaines de ces galeries, assure-t-il, remontent à la préhistoire. Des indices montrent qu’elles servaient autrefois d’habitations, d’abris ou de sépultures. Elles ont ensuite constitué la base de véritables passages aménagés à l’époque romaine et numide, élargis selon les besoins de défense et de mobilité. L’occupation romaine exploita ces ouvertures naturelles et les hauteurs environnantes pour bâtir des passages défensifs et des zones de stockage, utilisant un ciment particulier pour protéger et conserver les provisions, loin de l’humidité et des regards.

Toujours selon lui, environ 20 % de ces galeries ont été construites selon un modèle architectural romain clairement identifiable.

Durant les périodes vandales puis byzantines, ces abris naturels furent utilisés pour défendre la ville ou se réfugier lors des épidémies. Avec l’avènement de l’époque islamique et du Moyen Âge, et la formation de quartiers denses comme la Kasbah et la Souika, ces tunnels devinrent des sous-sols sous les maisons serrées, utilisés comme entrepôts ou refuges lors des incursions ou des épidémies. Ils se transformèrent en espaces aménagés : réserves, puits, pièces souterraines indispensables à la vie locale.

Sous les Hammadites, ces passages devinrent une partie d’un réseau urbain intégré, essentiel pendant les conflits. Ils constituaient des voies discrètes pour se déplacer, apporter de l’eau ou de la nourriture durant les crises traversées par la ville.

À l’époque ottomane, Constantine, alors centre administratif et place forte, bénéficia de cette architecture souterraine dense. Les tunnels servaient aux déplacements internes, à la fuite ou à la défense lors des conflits. Des sources archéologiques et des témoignages oraux confirment l’usage de ces passages pour se déplacer dans les quartiers sans apparaître dans les rues. On connaît également l’épisode célèbre durant lequel Salah Bey quitta la ville via ces tunnels après la seconde bataille de Constantine, au moment de sa chute.

Après la conquête française, ces galeries furent largement découvertes. Les autorités coloniales fermèrent environ 90 % d’entre elles, craignant qu’elles ne servent aux résistants pour infiltrer les centres administratifs ou mener des attaques contre les garnisons. Elles fermèrent également le passage menant au palais du Bey Ahmed pour protéger le gouverneur général. Les tunnels furent ensuite utilisés comme entrepôts de munitions et comme voies rapides reliant les différentes positions militaires. L’administration coloniale en modifia certains et en créa d’autres, notamment depuis l’avenue Aouati Mustapha (route de Sétif) jusqu’à « Moulin Lavie », sous le pont Sidi M’Cid, près du mausolée de Sidi Mimoun, afin de transporter discrètement des marchandises comme le blé, l’orge ou le maïs pour les stocker.