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La législation placera la question de la mémoire au premier plan des dossiers

L’Assemblée populaire nationale poursuit l’examen du projet de loi criminalisant le colonialisme

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L’Assemblée populaire nationale poursuit l’examen du projet de loi criminalisant le colonialisme, avant son adoption prévue le 24 décembre en cours, en tant qu’outil juridique majeur sur lequel l’Algérie s’appuiera pour exiger de la France qu’elle assume sa responsabilité historique, juridique et morale pour les crimes odieux commis depuis 1830.

Le professeur de droit international Farouk Guernane a indiqué que la proposition de loi définit le champ des crimes coloniaux durant la période d’occupation (1830-1962), ainsi que leurs effets persistants après l’indépendance. Le texte recense 30 crimes entrant dans le champ d’application de cette loi, lesquels constituent, dans leur ensemble, des crimes imprescriptibles, dont la France porte l’entière responsabilité.

Dans une déclaration au quotidien El Khabar, il a précisé que la loi oblige l’État algérien à prendre toutes les mesures nécessaires afin de contraindre la France à reconnaître ses crimes coloniaux, à présenter des excuses et à réparer les préjudices causés.

Il a expliqué que les crimes commis par la France en Algérie durant la période coloniale — et qui se poursuivent encore aujourd’hui à travers son refus de fournir les cartes des sites d’enfouissement des déchets nucléaires et de certaines mines antipersonnel, ainsi que par la spoliation continue du patrimoine et de la mémoire historique algériens (refus de restituer les biens culturels, les archives historiques et même les crânes des martyrs) — constituent une tache indélébile dans le bilan d’un État qui se présente comme une « patrie des droits de l’homme ». Ce sont des crimes qui continuent de porter gravement atteinte à l’Algérie, sans bénéfice évident pour la France.

L’intervenant a souligné que ces crimes constituent des violations de normes impératives du droit international (jus cogens), auxquelles les États ne peuvent déroger ni par accord ni par législation interne. L’article 53 de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 stipule qu’« un traité est nul s’il est, au moment de sa conclusion, en conflit avec une norme impérative du droit international général ». En conséquence, aucun texte juridique interne (tels que des lois d’amnistie) ni aucun accord bilatéral ne peut prévoir l’impunité ou exonérer les auteurs de ces crimes ; à défaut, l’accord est considéré comme nul.

Le Dr Guernane a ajouté que, bien que la poursuite judiciaire de la France devant les mécanismes juridictionnels internationaux demeure impossible en l’état actuel du droit international sans son consentement explicite à leur compétence, la loi criminalisant le colonialisme placera la question de la mémoire au cœur des relations algéro-françaises. L’Algérie utilisera ainsi son poids politique pour embarrasser la France sur la scène internationale et exercer une pression maximale afin de l’amener à assumer ses responsabilités historique, juridique et morale pour les crimes commis en Algérie.

À cet égard, la France pourrait effacer cette tache en se réconciliant avec son passé, à l’image de l’Allemagne après la Seconde Guerre mondiale, lorsqu’elle a pleinement assumé sa responsabilité et offert diverses formes de réparation pour les préjudices matériels et moraux, à commencer par la reconnaissance et les excuses, puis les indemnisations et autres mesures de réparation. L’Allemagne a même intégré cette reconnaissance dans ses programmes éducatifs afin de transmettre aux nouvelles générations le message selon lequel ces actes constituaient une erreur historique qui ne devait pas se reproduire. En 2021, elle a également reconnu et présenté des excuses pour les crimes commis en Namibie au début du XXᵉ siècle, accordant une indemnisation symbolique, bien qu’aucun mécanisme international ne l’y obligeât, une initiative largement saluée au niveau international.

À l’inverse, la France a choisi une voie totalement différente, persistante dans le déni de ses crimes passés, refusant de présenter des excuses et allant jusqu’à glorifier ses actes en Algérie, en honorant des criminels de guerre et des auteurs de crimes contre l’humanité par des décorations et des postes élevés. Par ailleurs, le système éducatif français continue de promouvoir la narration d’une prétendue « mission civilisatrice », tout en niant un passé criminel pourtant largement documenté.

Efforts africains
Ce projet de loi s’inscrit dans un contexte particulier marqué par la volonté des États africains d’unifier leurs efforts pour exiger une justice réparatrice pour les crimes coloniaux. La Déclaration d’Accra (2023) et la Déclaration d’Alger, récemment adoptée, ont proposé une feuille de route globale pour atteindre cet objectif, notamment à travers la criminalisation du colonialisme au niveau national. La Déclaration d’Alger affirme ainsi « nous soutenons la création et le renforcement de mécanismes juridiques aux niveaux national, régional, continental et international afin d’institutionnaliser la criminalisation du colonialisme en droit international, à travers la documentation, l’accès complet aux archives et leur restitution, garantissant ainsi la responsabilité juridique pour les crimes coloniaux et leurs conséquences durables. »

Le professeur Guernane a conclu que la loi criminalisant le colonialisme constitue une étape progressiste majeure pour l’Algérie, qui a hier conduit les luttes de décolonisation et d’autodétermination en Afrique, et qui mène aujourd’hui les efforts du continent pour instaurer la justice réparatrice. L’objectif est de faire de ce dossier un élément central de l’agenda des organisations internationales, au premier rang desquelles l’Organisation des Nations unies, tout en œuvrant à la création future de mécanismes internationaux dédiés. Parallèlement, l’Algérie continuera de pousser la France à assumer pleinement ses responsabilités par la reconnaissance, les excuses, la réparation des préjudices — y compris la restitution des archives, des biens culturels et des crânes des martyrs —, l’indemnisation, la prise en charge des victimes des radiations nucléaires, ainsi que d’autres mesures de réparation morale.

Enfin, le spécialiste du droit international a précisé que le texte proposé comporte des dispositions pénales et des sanctions sévères contre toute personne faisant l’apologie du colonialisme ou en assurant la promotion. Ces mesures visent à protéger la mémoire nationale contre la falsification, la déformation et le déni, à préserver la dignité des victimes et des martyrs, et à rappeler que la glorification du colonialisme ne saurait relever de la liberté d’expression, dès lors qu’elle constitue une justification de la violence et une négation des souffrances subies, et mérite à ce titre les sanctions les plus strictes.