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À qui profite de la mort du chef d’état-major de l’armée libyenne ?

Un rapport libyen propose une lecture de la situation sans conclure à une mort préméditée

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Un rapport de recherche et d’analyse libyen sur le décès de Mohamed Al-Haddad, chef d’état-major général de l’armée libyenne, et de quatre de ses accompagnateurs, survenu à la suite du crash de leur avion en Turquie il y a trois jours, a conclu à l’existence de plusieurs parties susceptibles de tirer profit de la disparition du général Mohamed Ali Al-Haddad, en détaillant leurs caractéristiques ainsi que leurs orientations politiques et militaires.

Bien que le rapport, élaboré et publié hier par le Réseau libyen pour la coopération et la coordination, et consulté par El Khabar, privilégie l’hypothèse technique — à savoir un appel de détresse émis par l’avion vingt minutes après son décollage, suivi d’une perte de contact — il n’écarte toutefois pas la possibilité d’un acte prémédité visant la délégation militaire libyenne en Turquie. Il ouvre ainsi le débat sur les parties pouvant avoir intérêt à la mort de ce haut responsable militaire, ainsi que sur sa position dans le paysage politique et militaire libyen.

Le document estime que « le principal bénéficiaire de l’incident est toute partie opposée à l’émergence d’une institution militaire libyenne unifiée, professionnelle et soumise à l’autorité civile », tandis que « le grand perdant demeure l’État libyen, avec ses institutions et son processus de stabilisation ».

Dans ce contexte, le rapport avance, sur la base d’analyses d’observateurs, que la disparition d’Al-Haddad « pourrait servir plusieurs acteurs ou courants », parmi lesquels figurent « les forces opposées à l’unification de l’institution militaire, qui considèrent la poursuite de la division comme une garantie du maintien de leur influence politique, militaire ou économique ».

Elle servirait également les intérêts de « réseaux liés à l’économie de guerre, qui tirent profit de l’absence d’une direction centrale unifiée capable d’imposer une discipline institutionnelle », selon les auteurs du rapport.

Le document évoque aussi, dans cette même logique, « des courants radicaux au sein de certaines formations militaires à l’est ou à l’ouest du pays, qui percevaient le rôle consensuel d’Al-Haddad comme un facteur de perturbation des équilibres de pouvoir traditionnels ».

Cette hypothèse inclut également, selon les rédacteurs, des centres de pouvoir armés non étatiques, craignant que le processus d’unification n’aboutisse à leur intégration ou à une réduction de leur influence.

Selon le rapport, le décès du chef d’état-major et des responsables militaires pourrait aussi servir « des parties mécontentes de l’ampleur croissante du rôle turc en Libye », tout en précisant qu’aucun indice officiel ni preuve ne permet de relier directement ces parties à l’incident.

Cette hypothèse s’inscrit, selon le document, « dans une lecture du contexte de la rivalité régionale globale ». Les auteurs fondent également leur analyse sur le fait que le chef d’état-major était une personnalité ayant « joué un rôle d’équilibre central à un moment charnière de l’histoire du pays », ce qui le plaçait en opposition avec certains acteurs aux visions politiques divergentes.

Malgré ces interrogations, les initiateurs du rapport soulignent que leur analyse ne vise en aucun cas à établir des responsabilités de manière définitive, ni à se substituer à une enquête technique ou judiciaire, mais cherche plutôt à « comprendre les répercussions stratégiques potentielles de l’incident, compte tenu de la position d’Al-Haddad et de son rôle dans l’équation de l’équilibre militaire et politique en Libye ».

Selon la même source, « la position d’Al-Haddad dans l’équilibre militaire constituait l’un des piliers essentiels du processus d’unification de l’institution militaire libyenne, et représentait un lien opérationnel entre les commandements militaires de l’est et de l’ouest, notamment à travers son soutien à la Commission militaire mixte ».

Le rapport appuie l’hypothèse d’un possible ciblage en soulignant que le haut responsable militaire « adoptait un discours favorable à la soumission de l’institution militaire à l’autorité civile, conformément aux conclusions du processus politique et sécuritaire parrainé par les Nations unies », ce qui signifie que sa disparition pourrait servir les intérêts de ceux qui s’opposent à cette vision.

Le document s’attarde également sur la relation avec la Turquie, notant qu’Al-Haddad a joué un rôle important dans le développement de la coopération militaire avec Ankara, notamment dans les domaines de la formation, du renforcement des capacités et de la restructuration de certaines unités régulières, ce qui faisait de lui un facteur d’équilibre dans une équation interne et régionale extrêmement sensible.

À l’inverse, des acteurs majeurs tels que la Turquie, la Mission des Nations unies et, plus largement, le processus de règlement politique et sécuritaire, figurent parmi les perdants de cette disparition, compte tenu du rôle d’Al-Haddad en tant qu’élément de stabilité relative et garant de l’avancement du processus d’unification militaire.

Le rapport aborde enfin les répercussions politiques et militaires potentielles de l’absence du chef d’état-major, estimant que « ce vide pourrait ouvrir la voie à des luttes d’influence internes et soumettre le processus d’unification de l’institution militaire à une véritable épreuve dans la phase à venir ».

Le chef d’état-major effectuait une visite de travail en Turquie visant à « examiner les moyens de renforcer la coopération militaire entre les deux pays ». Cette visite comprenait des rencontres de haut niveau avec le ministre turc de la Défense, le chef d’état-major général et plusieurs hauts responsables militaires. Elle coïncidait avec l’approbation par le Parlement turc de la prolongation de la présence des forces turques en Libye jusqu’en 2028.