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Macron est-il fini ?

Le président français face à des choix au goût amer.

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Bien que le président français, Emmanuel Macron, ait trouvé en son ministre de la Défense, Sébastien Lecornu, la personnalité à qui confier la charge de Premier ministre après la chute du gouvernement de François Bayrou, renversé par une motion de censure à l’Assemblée nationale avant-hier, il apparaît désormais, aux yeux des observateurs, comme un « président formel ». Symboliquement et politiquement, l’option la plus cohérente pour lui serait la démission, plutôt que l’usure successive de gouvernements incapables de survivre, dès lors qu’il n’est plus en mesure de rassembler une majorité parlementaire, de composer avec les forces dominantes de l’Assemblée, ni même de proposer un chef de gouvernement de consensus pouvant résister à une nouvelle censure.

Le profil du nouveau Premier ministre, doyen de l’ère Macron et proche indéfectible du président, laisse présager la reproduction de la « macronie » plus qu’un renouvellement politique. Homme des institutions militaires, longtemps en poste à la Défense, Lecornu reste prisonnier d’un paysage politique verrouillé depuis la montée fulgurante de l’extrême droite lors des européennes puis des législatives. Un courant radical qui ne se satisfait plus que d’un seul scénario : le départ de celui qui leur a barré deux fois la route de l’Élysée.

La nomination d’un nouveau Premier ministre ne règle donc en rien la crise ouverte depuis les législatives anticipées de l’an dernier, qui n’avaient accouché d’aucune majorité et plongé Macron dans une fragilité structurelle. Son salut provisoire n’avait tenu qu’à un fragile compromis avec la droite, compromis aujourd’hui caduc, le renvoyant à des options limitées : composer une équipe acceptable par un spectre élargi de groupes parlementaires, dissoudre à nouveau l’Assemblée – ce que souhaite ardemment l’extrême droite pour la conquérir – ou démissionner.

Dans ce contexte, l’exécutif apparaît affaibli face à une Assemblée éclatée en trois, voire quatre blocs dominants, pilotée en pratique par les droites – classique et extrême – et leurs satellites. Le président, relégué à l’Élysée, se trouve réduit à des marges de manœuvre étroites, oscillant entre micro-équilibres et alliances de survie, parfois même avec une partie de la gauche.

Macron cherche aujourd’hui à gérer l’impasse en misant sur le facteur temps. Mais cette stratégie, loin d’apporter une solution, équivaut selon ses critiques à un déni de réalité et à une lente érosion de son capital politique. Jean-Luc Mélenchon, chef de La France insoumise, appelle à sa démission comme seule issue crédible. De son côté, Marine Le Pen, figure de proue de l’extrême droite, plaide pour de nouvelles législatives afin de prendre le contrôle de l’Assemblée et d’imposer son agenda.

La scène politique française est ainsi en proie à une crise que d’aucuns comparent à celle de 1958, qui avait provoqué l’effondrement de la IVᵉ République. L’époque était marquée par une instabilité chronique, l’impasse algérienne et l’incapacité des gouvernements successifs à trouver des solutions, jusqu’au retour du général de Gaulle et à l’avènement de la Vᵉ République et de son régime semi-présidentiel. Mais ce modèle institutionnel, qui a tenu plus de six décennies, semble aujourd’hui lui aussi à bout de souffle. L’absence de majorité stable et la dispersion des pôles de pouvoir ouvrent la voie aux lobbies et aux groupes de pression, souvent au détriment de la volonté populaire.

Théoriquement, pour nombre d’analystes, la chute de deux gouvernements en moins de six mois est le signe patent d’une crise structurelle du « système », révélatrice d’un déséquilibre profond dans l’architecture politique française, aggravé par un endettement record, une chute historique du pouvoir d’achat et une contestation sociale grandissante, avec des mouvements tels que « On ferme tout » qui promettent de durcir leur action.

D’autres observateurs, en revanche, voient dans ces renversements successifs – ceux de Michel Barnier et de François Bayrou notamment – moins une crise institutionnelle qu’une expression normale de la vitalité démocratique : le mécanisme même de la censure empêcherait l’exécutif de gouverner seul, en garantissant le partage du pouvoir et la délibération collective.